Quelques brins de neige et ça y est! J’ai le blues de Noël. Une nostalgie qui m’étreint et me tiendra jusqu’au 24 décembre. Mon Noël de grande ne vaudra jamais celui de la petite que j’ai été. Rien à faire. Pareil pour plusieurs d’entre vous, sans doute.
Mon Noël d’enfant… Qu’avait-il de si extraordinaire pour disqualifier celui d’aujourd’hui? Je vous raconte.
D’abord, avant Noël, il y avait la neige qui nous arrivait comme une promesse. La neige qui nous faisait nous jeter dehors comme de jeunes chiots. Dans nos vieux manteaux de laine auxquels elle s’agglutinait, nous nous roulions dans les premiers flocons, rêvant avec impatience des coteaux que nous dévalerions bientôt et des bonshommes dont nous façonnerions les rondeurs. Ces joies comblaient les restrictions de l’avent. La table était moins opulente, mais nous, les enfants, nous ne nous en rendions même pas compte, tout à notre plaisir de l’hiver revenu.
L’hiver, c’était encore le crissement des bottes dans la nuit noire quand nous allions, après souper, jouer à l’étable. Et l’odeur humide de la grange qui s’ouvrait dans un nuage de vapeur. Et les batailles de boules de neige depuis nos fortins précaires. Et les bulles d’air sous la surface gelée de la rivière sur laquelle nous glissions avec des patins trop grands pour nous. C’était la bonne chaleur de la maison et le fumet des plats de maman. Et parfois (et bien plus souvent qu’aujourd’hui), les merveilleuses pannes de courant qui faisaient apparaître les bougies dont la douce lumière dorait les visages autour de la table.
Et tranquillement, sans presque s’annoncer, sauf par les airs traditionnels que nous entendions à la radio, jamais avant décembre, Noël s’approchait à pas feutrés. Et la fébrilité redoublait. Amplifiée par l’émission du Père Noël – le seul et l’unique – et de la jolie Fée des glaces. Un quart d’heure de transe!
Quelques cartes arrivaient par la poste, que l’on plaçait en vue, sur le bord de la fenêtre, seule décoration anticipée. Nos préférences allaient à celles représentant le Père Noël, les anges ou les oiseaux frileux que nous admirions sans nous lasser.
Quelques jours avant la nuit si attendue, maman se mettait à rouler les beignes, les tartes, les pâtés à la viande qu’elle faisait congeler dans une boîte de bois, sur la galerie arrière. Les trous de beigne crus étaient la seule entorse permise à l’interdiction de goûter avant l’heure à ces délices.
Enfin venait le grand soir. Nous connaissions notre seule insomnie de l’année, les yeux ronds, épiant les bruits diffus de la maison. Mais l’endormissement finissait tout de même par avoir raison de nous. Soudain, la lumière s’allumait brusquement et nous bondissions sur nos jambes comme si nous n’étions pas ahuris de sommeil! On nous mettait notre plus jolie toilette et nous descendions rejoindre les grands revenus de la Messe de minuit.
Ce n’est qu’à ce moment que nous découvrions l’immense sapin décoré durant notre sommeil de boules variées, de cheveux d’ange, de glaçons. Sous l’arbre, le village avec ses maisonnettes, posées sur le papier imitant la pierre, éclairées de l’intérieur, la crèche, les bergers, les moutons. Et bien sûr, les cadeaux, mystérieux, affriolants, que nous ne pourrions ouvrir avant le réveillon lequel s’éternisait souvent en raison des deux tablées nécessaires pour nourrir tout le monde.
Enfin, enfin, nous passions au salon et en un rien de temps, chacun recevait ses étrennes. Des présents modestes – une toupie, un livre à colorier, au mieux, une poupée neuve – avec lesquels nous pourrions jouer un peu avant qu’on nous remette au lit, épuisées et repues. La nuit de Noël était finie. Nous avions atteint le point ultime du désir et du plaisir. Dès le lendemain, les émotions reprendraient des proportions supportables. Nous passerions le temps des Fêtes à nous amuser avec nos cousines, découvrant souvent avec une pointe d’envie leurs cadeaux plus nombreux et de plus grandes valeurs que les nôtres, mais avec lesquels elles nous laisseraient jouer entre les glissades et les parties de cartes.
Qu’avait-il de particulier, mon Noël? Il s’approchait sans se disperser, économisant les rappels de sa venue imminente pour provoquer cette montée de fièvre qui est l’essence même du plaisir. Il était marqué de rites immuables, il se préservait dans sa durée, il donnait après avoir privé, il mêlait le profane et le sacré. Il avait un caractère magique.
Tout ce que je retrouve difficilement dans ce cirque qui commence dès novembre dans les Centres commerciaux et qui s’étire sur deux mois, dans la surabondance des repas de fêtes, dans le naufrage du mystère et des traditions, dans l’essoufflement des courses et des sorties.
Je rêve de m’encabaner dans un chalet entouré de sapins enneigés et d’y recréer l’intensité de ces moments, avec les enfants et les petits-enfants, avec juste ce qu’il faut de cadeaux pour faire briller les yeux des petits. Et nous leur lirions des contes avant de les coucher. Et nous ferions bombance en jasant jusqu’à très tard, avant de nous endormir dans le grand silence de la forêt.
Utopie sans doute… Peut-être faut-il se résigner à ce que les bonheurs d’enfant ne survivent pas au passage du temps.
Et vous, qu’en pensez-vous? Racontez-moi donc, pour me consoler, votre plus beau Noël.
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