Dommages collatéraux

Chers lecteurs, attendez-vous à un ralentissement du rythme des comptes rendus de lecture, car mon séjour floridien s’achève. Ralentissement qu’on pourrait qualifier de dommage collatéral du retour au Québec 😉.

En attendant, voici quelques impressions de la lecture de Contrecoup de Marie Laberge. Je dois dire, d’entrée de jeu, que depuis la trilogie Le goût du bonheur, je n’ai plus retrouvé le même plaisir de lecture aux romans de cette auteure chérie des Québécois.

Le propos

Contrecoup décrit les dommages collatéraux, comme ils disent dans les médias, d’une tuerie. Les jumeaux, Éloi et Rock, sont physiquement identiques, mais psychologiquement très différents. Lorsque Éloi décide de s’éloigner de son jumeau et de sa famille pour trouver son identité, vivre sa vie, Rock, dominateur et égocentrique, dérape. Sa rage le mène à s’acheter une arme d’assaut et à la décharger dans une boutique, tuant 3 jeunes femmes, dont Juliette, l’ex-petite amie d’Éloi. Divers protagonistes du drame, Éloi, bien sûr, mais aussi le père et la mère de Juliette, le père du meurtrier et quelques autres, prennent la parole et nous donnent à voir la douleur, l’incompréhension et les séquelles de cet acte barbare. Nous assistons à la reconstruction de certains d’entre eux tout comme du dépérissement des autres.

Mes impressions

Le roman n’est pas sans intérêt, loin de là. Pour preuve, je l’ai lu en 24 heures. Marie Laberge cherche de toute évidence à nous faire ressentir toute la gamme des émotions que peuvent vivre les victimes de ces tueries. Elle cherche moins la belle formule que la formule vraie. Le petit côté qui m’agace parfois, c’est le caractère didactique de certains passages. Elle explique peut-être un peu trop les ressorts psychologiques qui motivent les attitudes et les gestes de l’un ou de l’autre. Pour ma part, j’aime à ce qu’on me fasse ressentir sans expliquer. Sinon, à part quelques longueurs et une certaine perplexité quant au dénouement, j’ai bien aimé ce roman. Les fans de Marie Laberge devraient l’aimer aussi.

Un échantillon

Guillaume la considère avec surprise: Hélène n’est pas une philanthrope et si elle devient féministe après la mort de Juliette, ça n’aura rien à voir avec ses convictions. Enfin, celles qu’il lui connaissait. Il ne discute pas. Il souffle sur sa tisane en affectant l’air qu’il prend dans le groupe quand il entend un témoignage bâti sur un mensonge ou qui protège encore la personne de la dure réalité de son deuil. Ces échappatoires qui ont tellement l’apparence de la vérité et auxquelles on croit mordicus pour ne pas sombrer dans l’abîme qu’elles recouvrent. p. 171

Marie Laberge, Contrecoup, Québec Amérique, 2021, 504 pages

Pour se faire du bien à l’âme

J’ai lu tout d’un trait, hier, le très beau petit roman de Marie-Christine Boyer, Farö. Petit dans le sens de court.

Farö s’est isolé sur une île, dans une Scandinavie imaginaire, à la suite du départ, puis du décès de la femme qu’il aimait. Dix ans de réclusion, avec pour seules compagnes le souvenir de la femme en allée et la nature, à la fois âpre et généreuse, dangereuse et enveloppante. Et parfois, quelques rares amis qui débarquent. Et des cerfs que Farö nourrit et qui sont comme les âmes errantes des naufragés que la mer recrache sur les rives. Sinon, ce ne sont que marins taiseux qui ont vidé les lieux lorsque le gardien du phare est parti et qui se méfient de ce solitaire qu’on croit un peu fou.

couv_Faro« Depuis quelques années, il vivait dans une zone d’ombre. Plus rien n’avait exactement la même consistance que la vie au village ou en ville.»

Une atmosphère mystérieuse, tantôt inquiétante, tantôt réconfortante, enveloppe le récit. Le langage est poétique, délicat, comme de la dentelle.

« Il est six heures. Le jour s’est levé. Le vent balaye les nuages au-delà des pins, le ciel est presque bleu. Farö prend le chemin des dunes, le plus court jusqu’à la mer, ses pas tracent un sentier humide de rosée dans les herbes. Le soleil tarde à apparaître derrière les derniers nuages qui s’étirent. Les quelques oiseaux qui s’envolent à son passage d’ébrouent dans un silence feutré. Un banc de brume s’allonge lourdement dans le creux de la première dune.»

Le récit est tout d’intériorité. N’attendez pas de péripéties palpitantes, de grands revirements dramatiques. L’histoire se déroule avec douceur, avec lenteur. Et c’est plein de tendresse.

Ça parle du deuil, de la vie comme d’une route qu’on parcourt parfois seul, parfois à deux, une route avec des embranchements qu’on n’avait pas vu venir, qu’on prend, à tâtons souvent. Ça parle du lent travail de la mer sur le paysage, de celui du temps sur l’âme humaine. Ça parle de passages, de guérison. C’est un livre qui fait du bien.

Marie-Christine Boyer, Farö, Triptyque, 2016, 138 pages

 

Une histoire de conteneur, de technologie et d’humanité

L’histoire commence alors que Lisa et Éric trompent l’ennui de l’adolescence en s’amusant à défier les barrières de la technologie. Quelques années plus tard, on suit Jay, en liberté surveillée, conséquence de nébuleux délits, mais don on sait qu’ils incluent des vols par effraction. Celle-ci interroge à longueur de journée des banques de données pour la GRC. Oubliée dans un coin, elle triangule, comme elle dit, procédant à des recoupements pour détecter des activités frauduleuses.

Durant ce temps, Lisa a grandi et skype régulièrement avec son ami Éric qui a suivi sa mère en Finlande où il est devenu un jeune prodige du domaine technologique. Pour sa part, désargentée, Lisa tente vaillamment de terminer ses études entre une mère bipolaire, médicamentée et accro au IKEA, un père qui se dissout dans la maladie et un copain dans les nuages.

libertéSix degrés de liberté nous introduit dans les bureaux de la GRC où une équipe de détectives, voisins de Jay, traquent un conteneur suspect. De port en port, celui-ci ne cesse de leur échapper. Que se cache-t-il derrière la supposée cargaison de pommes Empire ?

Mourant d’ennui et comptant un à un les jours qui la séparent de la liberté, Jay entreprend en parallèle et à temps perdu sa propre enquête. Elle comprendra bien avant les autres la nature des activités de ceux qui impriment au fameux conteneur sa trajectoire apparemment erratique et les intentions qui les animent.

En fin de compte, toutes les pièces du casse-tête s’emboîteront pour nous révéler le pot aux roses. Quand vous refermerez la dernière page de ce roman, vous saurez tout sur l’industrie du transport par conteneur et sur les systèmes qui en assurent le suivi, failles de sécurité incluses. Vous aurez de plus goûté à la prose inventive et imagée de Nicolas Dickner dont voici un échantillon :

«Ce pont est invraisemblablement long, comme s’il raccordait deux univers. Jay écoute l’antenne de la Yaris siffler dans le vent, la percussion cardiaque des pneus sur les joints d’expansion, puis à nouveau la terre ferme et le chuintement feutré de l’asphalte. Dans le lointain, entre deux courbes, les feux de position des autres voitures s’apprêtent à disparaître, réduits à quelques pixels rouges.»

J’ai passé un bon moment de lecture avec ce «roman policier» atypique, captivant et très bien écrit. Il risque pourtant de ne pas me laisser de souvenirs impérissables. Mais que voulez-vous, quand on suit Dephine de Vigan ou Christophe Boltanski, la compétition est dure.

L’auteur a obtenu le Prix littéraire du Gouverneur général 2015 (catégorie Romans et Nouvelles) pour ce roman.

 

Nicolas Dickner, Six degrés de liberté, Alto, 2015, 381 pages

La mort pour aider à vivre

Vous vous dites, elle ne lit plus. À quand remonte le dernier compte rendu de lecture? J’ai vérifié : le 28 juillet dernier. Un mois jour pour jour. Entre temps, j’ai assisté aux Correspondances d’Eastman et j’ai fait un camp littéraire pour faire avancer mon manuscrit en chantier. Ce qui ne m’a pas empêchée de lire. En fait, j’ai mené diverses lectures en parallèle : Les Créateurs de Daniel Boorstin, Introduction à la poésie québécoise de Jean Royer, Iotékha’ de Robert Lalonde, Thérèse pour joie et orchestre de Hélène Monette et Un jour ils entendront mes silences, de Marie-Josée Martin. Je veux vous dire quelques mots de ces deux derniers, terminés hier, et qui ont en commun de prendre appui sur la mort pour mieux parler de la vie.

Un jour ils entendront mes silences

Corinne souffre de paralysie cérébrale. Aléas de l’accouchement. Incapable de bouger ni de parler, elle est cependant une témoin lucide des joies et des souffrances des membres de sa famille, de la culpabilité de sa mère, de l’incapacité de son père à accepter le handicap de sa fille, des crises conjugales qui en découlent, des efforts de son grand frère pour se faire une place dans ce contexte. Incapable de se défendre par la parole, Corinne est victime de la bonne volonté et de l’acharnement des sarraus blancs et de la confiance sans limites que leur voue sa mère, subissant chirurgie sur chirurgie jusqu’à la révolte de la mère. La naissance d’une petite sœur de six ans plus jeune qu’elle accentuera l’inévitable comparaison entre l’enfant brisée et l’enfant parfaite. Si la souffrance et la douleur sont omniprésentes, le récit donne également à voir de beaux moments de tendresse entre Corinne et sa mère, son frère et sa petite sœur. silence

Marie-Josée Martin mène avec beaucoup de dextérité ce récit dont le narrateur n’est nulle autre que Corinne, qui, de l’au-delà, retrace ses treize courtes (longues aussi) années de vie. Elle sait décrire la souffrance de l’enfant murée sans tomber dans le pathos. En ce qui a trait à la qualité littéraire de l’œuvre, qu’il suffise de mentionner qu’elle a été couronnée de plusieurs prix : le Prix du livre d’Ottawa 2013, le Prix Christine-Dumitriu-Van-Saanen 2014, le Prix Émergence-AAOF 2014 et le Prix LeDroit 2014. On sort changé de cette lecture absolument touchante et authentique.

Thérèse pour joie et orchestre

Hélène Monette a écrit ce livre en hommage à sa sœur disparue en 2005. Hommage, le mot semble faible pour décrire ce qui transpire de ce texte en vers. C’est un hymne d’amour, une vocalise de tendresse.

En 2008, Hélène Monette écrivait : « Tereza Trezor/avec les yeux brouillés de la mort, tu m’as saluée/méconnaissable mais toujours pleine d’esprit/entre les maudits trous noirs/et ton prochain cauchemar/toujours avisée, tu m’as dit/à la prochaine! /sans bouger, pourtant, comme dans un élan vers moi/tu m’as fait un signe de la main/d’un seul doigt minuscule

J’ai cru voir la mort sourire/tandis que tu m’ouvrais le ciel/(serais-je donc la prochaine/ou tu voulais simplement dire/que nous nous reverrons? en es-tu sûre et certaine? » thérèse

En 2015, à son tour, Hélène Monette mourrait. Elle n’avait que 55 ans. Ces vers prémonitoires font frissonner.

Mais au-delà de du caractère tragique de ces disparitions, Thérèse pour joie et orchestre foisonne de vers frémissants. « j’entends les nuances sublimes de ta divine petite voix/ton imaginaire m’enchante/et ton âme danse avec moi »

Et ailleurs :

« ange au grand cœur d’authentique grande sœur/m’entraînant de pèlerinages naïfs en florissantes oasis/dans le voyage de la pensée »

Ce livre couronné du Prix du gouverneur général ne se donne cependant pas d’emblée à qui ne fréquente pas assidûment la poésie, ce qui est mon cas. Je crois qu’il faut le lire plus d’une fois pour en butiner le miel.

Marie-Josée Martin, Un jour, ils entendront mes silences, Les éditions David, 2012, 203 pages

Hélène Monette, Thérèse pour joie et orchestre, Boréal, 2008, 153 pages

Le 12 août, j’achète un livre d’un auteur québécois

Vous avez envie de participer à cette belle initiative de Patrice Cazeault, qui récidive demain, encouragé par le succès extraordinaire de l’an dernier. En appui à cet élan et inspirée par ma récente participation aux Correspondances d’Eastman, voici quelques suggestions de livre d’auteurs et d’auteures d’ici :

  • Robert Lalonde, C’est le cœur qui meurt en dernier« Robert Lalonde évoque de façon bouleversante celle qui fut sa mère, femme piégée par le destin et qui d’outre-tombe continue d’entretenir avec son fils un rapport de tendresse et de bataille. » Boréal
  • Andrée A. Michaud, Bondrée, « Été 67. Le soleil brille sur Boundary Pond, un lac frontalier rebaptisé Bondrée par Pierre Landry, un trappeur canuck dont le lointain souvenir ne sera bientôt plus que légende. Le temps est au rire et à l’insouciance. Zaza Mulligan et Sissy Morgan dansent le hula hoop sur le sable chaud, les enfants courent sur la plage et la radio grésille les succès de l’heure dans l’odeur des barbecues. On croit presque au bonheur, puis les pièges de Landry ressurgissent de la terre, et Zaza disparaît, et le ciel s’ennuage. » Québec-Amérique
  • Marie-Josée Martin, Un jour, ils entendront mes silences, « Corinne est une fillette lourdement handicapée. Elle ne peut ni bouger — ou si peu — ni parler. À travers ses yeux, néanmoins très lucides, nous sommes témoins de ses petites victoires, mais aussi des exigences, des soucis et des déchirures que son état finit par entraîner dans sa famille. Son désir le plus cher : vivre malgré les différences. » Renaud Bray
  • Sarah Rocheville, Go West, Gloria, « Go West, Gloria est un roman à deux voix : celle de Gloria, une jeune thanatologue ayant brusquement quitté le Québec pour Winnipeg, et celle, posthume, de son père. L’un fait le bilan de sa vie, l’autre se demande comment vivre libérée d’un tel héritage; l’un veut tout contrôler, l’autre tout perdre. Au fil des pages, où s’entremêlent les observations chirurgicales de la fille et le lyrisme exalté du père, les motifs de la fuite de Gloria et les circonstances qui ont provoqué la mort de son père s’éclairent peu à peu. À mille lieues du cynisme, ce roman est la quête réelle de deux êtres, séparés par une même folie, qui essaient trop tard de se rejoindre. Exploration des grands espaces dans lesquels on se découvre, expérience du temps retrouvé au seuil de la mort, Go West, Gloria conjugue le meilleur des traditions romanesques nord-américaine et française. »
  • Serge Bouchard, C’était au temps des mammouths laineux, « Avec sa manière inimitable, sur le ton de la confidence, Serge Bouchard jette un regard sensible et nostalgique sur le chemin parcouru. Son enfance, son métier d’anthropologue, sa fascination pour les cultures autochtones, pour celle des truckers, son amour de l’écriture. » Boréal
  • Perrine Leblanc, Malabourg, « Trois jeunes femmes ont disparu à Malabourg. Les amours cachées, les conditions matérielles délicates et la rumeur s’imposent alors entre les gens comme des obstacles et des fantômes.
    L’hiver suivant, Alexis et Mina quittent le village. Lui s’exile en France pour apprendre à composer des parfums. Elle s’installe à des centaines de kilomètres de la mer pour tout oublier. Ils se retrouveront quelques années plus tard à Montréal.
  • Malabourg se déploie en Amérique, dans la partie nord du continent; entre les Appalaches et la mer, à la lisière de la forêt boréale, sur les routes québécoises et les rives du fleuve Saint-Laurent, dans les rues de Montréal dont se sont emparés les étudiants en grève, sur l’Interstate 87 et à New York, l’étalon états-unien des grandes villes américaines. » Gallimard
  • Patrick Nicol, La nageuse au milieu du lac « La mère va disparaître. Elle a déjà perdu ses mots, ses souvenirs s’effacent un à un, bientôt tout son corps l’abandonnera. D’ici là, ses paroles désordonnées font surgir en vous la mémoire d’époques oubliées. L’enfant que vous étiez, le quartier tel que vous l’avez connu et d’autres jeunesses aussi, la sienne, celle de ses parents. La mère est devenue votre enfant : il faut la mener à ses rendez-vous, la soigner, la déménager, signer les papiers qui accélèrent ou retardent sa perte. L’accompagner sur le seuil et continuer d’avancer. Il ne s’agit pas ici de témoigner, mais de sublimer : transformer l’expérience en objet de beauté. Ne pas chercher à tout dire, ne rien expliquer; montrer. Les visages changeants, les oiseaux par la fenêtre, les ongles trop longs, la crise, et vos élèves qui attendent des réponses alors que le monde vous échappe. » Le Quartanier
  • Michael Delisle, Le feu de mon père, « Dans ce poignant récit, le poète se remémore son père, le bandit devenu chrétien charismatique, l’homme violent qui ne parlait plus que de Jésus, l’homme détesté qu’on ne peut faire autrement qu’aimer, en dépit de tout. » Boréal

Enfin, une suggestion additionnelle : si ça vous est possible, favorisez une librairie de quartier plutôt qu’une grande chaîne ou une grande surface. Les librairies indépendantes ont bien besoin de nos encouragements.

Les Correspondances : la journée parfaite!

La brume matinale nous l’annonçait : le soleil serait de la fête. Le ciel cessait de bouder. La chaleur du soleil sur la peau, les bras nus, le lunch sur une terrasse, vous vous souvenez? 

Et il semble même avoir projeté ses rayons jusque sur la scène de la Terrasse Québecor. Trois femmes resplendissantes et en verve nous ont comblés de leurs réflexions, pensées, émotions. Hélène Dorion, Kim Thuy et la lumineuse Sarah Rocheville. Leur thème : L’enfance ailleurs. Revenant sur les lieux de leur enfance, ces écrivaines me convainquent plus que jamais que l’enfance est un pays dont chacun est exilé et dont on demeure à jamais nostalgique. Parmi ces nombreuses considérations, je retiens aussi qu’il est un héritage (pas toujours facile) à accepter. L’enfance n’existe comme période de vie qu’une fois qu’elle est terminée et que l’adulte se retourne pour la considérer, pour la recréer.

Après un lunch délicieux sur la terrasse du Cabaret d’Eastman, nous sommes de retour sous le chapiteau pour écouter, que dis-je, pour nous repaître des propos à la fois truculents, profonds et sages de Serge Bouchard, lequel defendra enfin la légitimité du sentiment de nostalgie, «ce regard sur la temporalité». Comme dirait mon homme, on en aurait pris toute une demi-journée de réflexions de cet homme.

N’empêche qu’il devra tout de même céder la place aux panellistes du dernier café littéraire, lequel, sur le thème de Encore le roman familial, réunira Patrick Nicol, Nicolas Lévesque et Perrine Leblanc qui me laisseront avec quelques questions: Est-ce que l’enfant trouve que le monde des adultes est mystérieux? L’écriture sur fond familial est-il un rituel de séparation ou une manière de se rapprocher de ce qui nous fait défaut?  

 C’est avec ces questions en tête que nous avons pris le chemin de la chambre d’écriture La Petite Autriche, hier désertée, aujourd’hui peuplée de correspondants heureux et recueillis. Nous y avons passé un moment à écrire avant de rentrer chez ma fille, à Sherbrooke

Je compose ce billet depuis la jolie terrasse de ma fille pendant que Maurice écrit près de moi. Oui, une journée parfaite!

Les Correspondances d’Eastman : le bonheur de l’écriture

Un lapin brun, quelques oiseaux, une cascade, des sièges disséminés dans un cocon de verdure et de fleurs. Nous sommes dans la Chambre des poètes, une des onze chambres d’écriture (comprenez jardins) éparpillées dans le village d’Eastman dont le coeur battra, durant quatre jours, au rythme de la plume. Celle des correspondants, bien sûr, mais aussi celle des écrivains y convergeant pour parler écriture. Comme ce fut le cas dans  le cadre de ce premier café-littéraire ayant pour thème Apprivoiser l’effroi de vivre, rien de moins!

 

Chambre des poètes, jardin du Gîte La Cassetta
 
 Sous le chapiteau, trois jeunes femmes ont pris place sur l’estrade. Claire Legendre, avec son regard d’écorchée, Geneniève Pettersen (la Madame Chose de la Presse), avec son air frondeur, Caroline Allard (la mère indigne) avec sa vivacité rieuse. Tristan Malavoy, pose une première question et c’est parti! Toutes trois ont envie de partager leur besoin d’écrire, leurs plaisirs et leurs angoisses d’écrivaine. Une sorte de bonheur s’installe, celui des mots, de la parole partagée, des livres écrits ou lus. Quelque chose en moi se dilate. Je respire mieux, j’existe davantage. 

De quoi ont-elles causé? De ce qui les pousse à mettre en livre leur propre histoire (toutes trois écrivent à partir d’un matériau autobiographique), de la transformer pour donner un sens à ce qui n’en a peut-être pas suffisamment, pour l’illusion éphémère de mettre de l’ordre dans ce qui, par essence, est pur désorde, pour sentir que sa vie correspond à ce qu’elle doit être, pour combler un vide, conjurer des peurs. Des choses graves traitées avec sérieux et humour. Avec profondeur aussi. Et derrière les facades, pointe la fragilité de chacune. 

À la suite de ce café littéraire donnant envie d’entendre les mots qui murmurent en soi, de les écrire, quoi de mieux que de se retrouver dans une chambre d’écriture. On nous remet du papier et une enveloppe. Pour écrire une lettre que les Correspondances se chargeront d’oblitérer et de poster, n’importe où dans le monde! Bien callé dans sa chaise Addirondak, mon homme réfléchit, prend des notes. Quand on envoie une lettre à quelqu’un, on n’écrit pas n’importe quoi, quand même! Moi je pense à ce que je vous écrirai pour vous faire partager mon bonheur. Je prends quelques photos pour l’illustrer.   

Un correspondant en action
 Et ce n’est qu’un début. Encore trois jours d’émotions, de réflexion, de rêverie. Trois jours de rencontres et d’échanges. Trois jours à planer.

Parution – La vive douleur d’être née – récit

Je suis très heureuse de vous annoncer la parution d’un récit d’enfance écrit sur un mode poétique. Eh oui! Tout juste après le lancement de mon dernier roman, je récidive. Mais n’allez pas croire que je suis hyper productive. Il s’agit d’une œuvre dont l’essentiel est écrit depuis 2010, dans le cadre de ma maîtrise en création littéraire, et à laquelle je viens de mettre une dernière main.Untitled

De quoi ça parle?

La mort de mon père m’occasionna un double choc : la perte d’un être qui m’était cher, du pilier de la famille, bien entendu, mais aussi la prise de conscience aiguë de la perte de l’enfance. Déjà ébranlée par ma récente séparation, ce retour à l’église paroissiale, témoin de tant d’étapes de mon enfance et de ma jeunesse, ouvrait une brèche vertigineuse et le désir de la colmater en retrouvant l’enfance perdue. Je repars donc sur les traces de ce temps béni, de ses moments d’éblouissement tout comme de ses manques et de ses blessures, comme si je pouvais recoudre ensemble ces temps de ma vie apparemment irréconciliables.

Ce qu’en ont dit deux écrivains reconnus

« Ce récit est un voyage d’âme beau et touchant, souvent savoureux dans sa phrase ample. » Anne Peyrouse

« L’emploi judicieux des adverbes et des adjectifs permet au texte de couler comme une eau de printemps que nous buvons pour en goûter la subtile saveur. Il y a chez cette auteure une grande force d’évocation […] » Alain Beaulieu

L’aventure de l’autoédition

En parallèle de ma collaboration avec un éditeur traditionnel pour le volet roman de mon travail d’écrivaine, j’ai décidé de vivre l’aventure de l’autoédition pour ce récit. Ce qui signifie que je fais paraître l’œuvre sur une plateforme numérique, celle de Lulu.com, qui compte de nombreuses années de production d’œuvres autoéditées. La vive douleur d’être née pourrait éventuellement se retrouver en bibliothèque, mais vous ne le trouverez pas en librairie.

Comment se procurer le livre

L’œuvre bénéficie pour le moment de trois points de vente. Cliquez sur les liens pour les modalités.

En format papier : (19,95 $ plus taxe et frais de livraison)

Dans la boutique virtuelle de Lulu.com

Auprès de l’auteure, en m’écrivant carmen.robertson@videotron.ca ou en cliquant sur le lien ci-dessous:

Payer avec PayPal
En format livre numérique : (9,95 $ plus taxe)

Sur le site de Kobo (format pour liseuses et tablettes)

L’œuvre pourra éventuellement être en vente sur Amazon et d’autres points de vente en ligne. Je vous tiendrai au courant.

Vous retrouverez tous ces renseignements sur la page Publications de mon blogue.
Merci de faire suivre ce message à des personnes de votre réseau que ça pourrait intéresser et merci à l’avance.

Succès de ma résidence d’écriture

Je termine ce soir ma résidence d’écriture dans un cadre champêtre et d’une rare tranquillité avec la grande satisfaction d’avoir réussi à terminer une première mouture de mon prochain roman. Il reste bien sûr une somme considérable de travail à faire pour mener le projet à terme, probablement davantage que n’en a demandé le premier jet, mais c’est très stimulant.

Vous dire que j’étais dans ma bulle! Il y a quelques jours, Maurice, mon mari, me dit qu’il vient de terminer la lecture de mon dernier roman, Les Blessures du silence, et qu’il en a bien aimé la conclusion. Moi, je le regarde, l’air stupide. Je n’ai aucune idée de ce dont parle ce livre. Vous savez quand on veut ouvrir une page sur l’ordi et que la seule chose qui se passe, c’est la petite roulette qui tourne sur un écran blanc. Pareil pour moi. Naturellement, il n’a eu qu’à dire un mot pour que l’écran s’allume et que je me souvienne du roman dont je viens à peine de faire le lancement. J’étais soulagée… lui aussi sans doute 😉

Comme la passionnante lecture de Romans de Modiano s’est avérée nettement insuffisante pour mes trois semaines de retraite fermée, j’ai fouillé dans la bibliothèque de mes hôtes et j’ai lu, en rafale, quelques œuvres qui datent, mais n’ont pas perdu de leur intérêt.

Christian Bobin, La femme à venir, Galimard, Col. Folio, 1990, 139 pages

Du Bobin : Poésie, concision, courtes phrases,  style haletant.

L’auteur nous raconte l’histoire d’Albe, du berceau jusqu’à la rencontre de l’amour, le vrai, celui qui fera d’elle une femme.

« Albe et Antonin. Gravité de cet amour. Légèreté de ce lien. La jeune femme aide l’enfant pour les leçons de chaque jour. L’enfant aide la jeune femme pour la douceur de vivre. »

« C’est facile de mener plusieurs vies. Il suffit de n’en avoir aucune à soi. »

Anne Hébert, Les enfants du sabbat, Éditions du Seuil, 1975, 187 pages.

Changement de registre. Un livre coup-de-poing dans la bêtise dont est fabriqué le carcan social et religieux qui étouffe la société de l’époque, et les femmes en particulier. Personnages métaphoriques et homériques, cour des miracles. L’auteur aborde des thèmes majeurs (la femme sorcière, l’homme diable, le sexe, le viol, l’inceste, mais aussi l’amour et la jouissance dans toute sa jubilation, l’effacement de soi par la foi, l’abus de pouvoir et le sadomasochisme, etc.) en donnant vie à des personnages plus grands que nature. Humour féroce et noir,  poésie. Ça prendrait une thèse pour épuiser les sens qui émergent de ce grand cri de révolte.

Marie-Claire Blais, David Sterne, Stanké, col roman 10/10, 1981, 137 pages

Parue en 1967, cette courte œuvre de Marie-Claire Blais pourfend les mêmes oppresseurs que dénonce Anne Hébert dans l’œuvre citée ci-dessus, mais avec moins de truculence et davantage de noirceur. Aucun humour dans ce roman qui se conclue par la mort de trois jeunes hommes, seule issue face aux tares du monde, à l’hypocrisie de l’église, au totalitarisme de la justice, à la menace des armes. On reconnaît déjà le style de l’auteure qui en est presque venue à éliminer, dans ses œuvres récentes, les points et les chapitres, et à faire fi des genres, mariant allègrement prose et poésie.

Jacques Ferron, L’amélanchier, Typo, 1992, 207 pages

Conte échevelé, érudit, puisant à diverses sources, dont à celle d’Alice au pays des merveilles, L’amélanchier est l’histoire de Tinamer, petite fille délurée, fille d’un original de père qui lui fait découvrir mille merveilles dans le petit bois qui jouxte la maison, lequel constitue le bon côté des choses alors que la rue, le monde ordinaire figure le mauvais côté des choses. Un jour Tinamer ira à l’école, grandira et oubliera son petit bois enchanté. Jusqu’à ce que, dans la vingtaine, elle en redécouvre la magie. Merveilleuse histoire sur l’enfance et sur la nostalgie incurable que provoque sa perte.

Louis Fréchette, La maison hantée et autres contes fantastiques,Le Éditions CEC, 1996, 200 pages

On fait un formidable bond en arrière, presque un siècle, avec cette œuvre du 19e siècle. Amusant recueil de contes mettant en scène des forces occultes, spectres, fantômes ou Belzébuth lui-même, dont les méfaits nous sont parfois donnés pour vrai ou ridiculisés par le conteur. Les contes de Jos Violon se distinguent des autres par le langage pittoresque des chantiers et l’humour qu’ils distillent.

Fascinant Modiano : Romans

Je suis partie en résidence d’écriture d’une durée de trois semaines avec pour toute lecture Romans de Patrick Modiano, prix Nobel de littérature 2014, convaincue que je ne passerais pas au travers de cette brique de plus de 1000 pages regroupant 10 courts romans publiés entre 1975 et 2010. C’était sans compter sur la fascination qu’a suscitée chez moi cet auteur singulier.

L’autobiographie imaginaire

Dans l’avant-propos, Modiano explique que le regroupement de ces dix opus publiés sur une période de 25 ans constitue « une sorte d’autobiographie, mais une autobiographie rêvée ou imaginaire. » En est-il jamais autrement de toute autobiographie? Un mélange de faits avérés et de fiction. On constate en effet à la lecture de Romans, par la récurrence des thèmes, des personnages et des lieux, que court en filigrane de toutes ces pages un seul et même petit garçon, bientôt adolescent puis jeune adulte, qui n’est autre que le jeune Patrick, enfant né sur les cendres fumantes de l’Occupation, laissé à lui-même par une mère actrice et peu maternelle et un père aux activités louches qui cherche sans cesse à se débarrasser de ses fils en les plaçant chez des amis et plus tard dans les pensionnats. De livre en livre, l’auteur revisite et réinvente, au travers de divers alter ego, son enfance et sa jeunesse comme pour mieux se l’approprier, la rendre comestible.Romans-de-Patrick-Modiano-Quarto-Gallimard_reference

Prendre racine

Plus encore que ce thème de l’abandon, c’est celui du déracinement, ou plutôt de l’absence de racines, qui constitue la toile de fond de ces divers récits plus ou moins imaginaires.

En découle donc une quête éperdue d’ancrages et de repères se traduisant, entre autres, par la mémorisation maniaque des adresses, des noms des gens, et de mille détails qui sont autant d’armes contre les dangers de l’oubli, de l’amnésie. Dans Pedigree, il écrit :

Que l’on me pardonne tous ces noms et d’autres qui suivront. Je suis un chien qui fait semblant d’avoir un pedigree. Ma mère et mon père ne se rattachent à aucun milieu bien défini. Si ballottés, si incertains que je dois bien m’efforcer de trouver quelques empreintes et quelques balises dans ce sable mouvant comme on s’efforce de remplir avec des lettres à moitié effacées une fiche d’état civil ou un questionnaire administratif.

Il a développé une mémoire phénoménale pour contrer les gouffres de l’oubli, de l’effacement, de la mort des êtres.

L’oubli finit par ronger des pans entiers de notre vie et, quelquefois, de toutes petites séquences intermédiaires.

Et ailleurs :

Un jour, peut-être, parviendrai-je à briser cette couche de silence et d’amnésie.

Pourtant l’effort de remémoration est toujours insatisfaisant.

Jusque-là, tout m’a semblé si chaotique, si morcelé… Des lambeaux, des bribes de quelque chose, me revenaient brusquement au fil de mes recherches… Mais après tout, c’est peut-être ça, une vie…

Apaisement

Je ne sais pourquoi, un soir, j’ai levé les yeux du livre et le mot qui m’est venu, c’est « lecture apaisante ». Malgré la noirceur des propos. Ou parce qu’on se retrouve dans les angoisses de l’auteur. Et en raison du tempo, peut-être. On avance au rythme du pas humain. Ou encore, en raison du style de Modiano, de son écriture élégante, précise, et surtout tellement sincère. Je l’ignore. Je sais seulement qu’il ne m’a jamais lassée et que je n’en ai pas fini avec cet auteur. Une grande rencontre de la vie.

Patrick Modiano, Romans, Gallimard, Paris, 2013, 1083 pages.

Marcher hors de la douleur

C’est pour « réapprendre à marcher hors de la douleur, à marcher comme une femme debout, tranquille dans son mouvement de femme » que Sarah-Mikonic s’est inscrite à la Moteskano, le Chemin tracé par les Ancêtres. Dure épreuve que ce périple hivernal sur le territoire ancestral du peuple Atikamekw, alors que chacun doit tirer son traîneau et ses vivres, et que chacun souffre de la faim, de la soif, du froid et de la fatigue. Moins pénible toutefois que la douleur quotidienne engendrée par un père froid, une mère alcoolique, une sœur morte, suicidée. Moins désespérant que le lent naufrage dans l’alcool qui la menace comme il menace son peuple.Matisiwin

Ce roman ne nous apprend rien des malheurs qui ont ravagé les différentes nations autochtones du pays : confinement dans les réserves, destruction de leur habitat et de leurs territoires de chasse, drame sans nom de l’enlèvement des enfants séquestrés dans les pensionnats, sévices sexuels et psychologiques généralisés, problèmes de violence, de consommation et de suicide qui perdurent. Ce récit initiatique ne nous apprend rien et pourtant, on a l’impression d’être enfin véritablement atteints par la souffrance dans leur chair et dans leur âme de ces êtres transpercés par les tragédies qui émaillent leur histoire et dont les séquelles sont toujours si vives.

Marie Christine Bernard a mis quatre ans à s’imprégner de l’identité des Atikamekw, de leurs croyances, de leurs coutumes ancestrales, de leur trajectoire, et de leur présent aussi, ainsi que pour écrire ce petit bouquin qui nous les présente avec une extrême délicatesse, un immense respect et beaucoup d’amour. Dans une langue sobre, exempte d’effets de style, elle nous fait pénétrer dans leur douleur comme dans leur bonheur. Les faits sont rapportés pour ce qu’ils furent, pour ce qu’ils sont encore, sans tomber dans le piège du manichéisme opposant les bons et les méchants. On ressort de cette lecture avec le sentiment que ces hommes et ces femmes nous ressemblent davantage que nous le pensions. La peur de l’étranger qui nous étreint et nous les fait garder à distance en est ébréchée.

Lecture très émouvante. Apaisante.

Marie Christine Bernard, Matisiwin, Stanké, Montréal, 2015, 153 pages.