L’autre, cet éternel inconnu

Première rencontre pour moi avec Lisa Gardner, prolifique écrivaine de romans policiers. Et sans doute pas la dernière. 

Résumé

Famille parfaite, c’est celle de Justin Danbe, Libby et Ashlyn. Justin est le propriétaire, à Boston, d’une entreprise de construction, Danbe Construction, qui fait dans l’institutionnel – hôpitaux, prisons, bureaux. C’est son père qui lui a légué l’entreprise qui vaut maintenant dans les 100 millions de dollars. Libby, issue d’un milieu modeste est femme au foyer, créatrice de bijoux en argent et veille sur son adolescente rebelle, Ashlyn.

À l’ouverture du roman, le couple vacille sur ses fondations. Justin est infidèle, Libby est toxicomane et leur fille se referme sur elle-même. Au retour d’un souper d’amoureux visant à reconstruire leur couple, toute la famille est enlevée par trois hommes, anciens soldats ou anciens prisonniers, chose certaine, des professionnels, qui les amènent au New Hampshire et les enferment dans une prison toute neuve, construite par Danbe Construction, mais encore inoccupée. Tessa Leoni, enquêtrice privée, dont Danbe Construction a retenu les services, est mandatée par la compagnie pour mener une investigation parallèle. Elle aura à travailler avec des agents du FBI et avec Wyatt, shérif du New Hampshire, qui tous mettront beaucoup d’effort pour retrouver la famille disparue et démasquer l’auteur de la machination. Durant ce temps, la famille vivra des jours difficiles et longs dont elle ne sortira pas indemne. 

Pas de doute, Lisa Gardner sait raconter une histoire. À l’intérêt de l’enquête complexe menée par les forces de l’ordre s’ajoute celui de la réflexion sur la famille, le couple, la parentalité, alimentée par Libby, dans des chapitres écrits à la première personne. Par la voix de l’épouse et de la mère, l’auteure soulève différents thèmes, dont ceux de l’amour, de l’usure du couple, de l’imperfection des parents, de la fidélité et de l’infidélité, de la méconnaissance de ses proches.

Extrait

Une famille ne se décompose pas comme ça du jour au lendemain. Même à cause d’une infidélité. Il fallait qu’il ait eu des fissures, des défauts dans les fondations. Mais je ne les avais pas vus, ou alors je n’avais pas voulu les voir. Ashlyn avait raison sur un point : je me mettais en quatre pour être parfaite et conciliante. Je voulais que mon mari soit heureux. Que ma fille soit heureuse. Et je ne comprenais pas ce qu’il y a de mal à faire ça. (p. 260)

Famille parfaite est un roman qu’on ne peut plus lâcher sitôt qu’on a ouvert la première page, soit-elle de papier ou numérique (mon cas).

Lisa Gardner, Famille parfaite, Albin Michel, 2015, 607 pages

Affaires privées

dans les strates sombres de l’humanité où grouille la vermine

Mais pourquoi donc Vicky Barbeau, de l’escouade des cold cases, autrement dit des crimes non résolus, a-t-elle accepté de se mêler de ces suicides qui ne sont pas de son ressort ? Elle acceptera pourtant de se rendre à Québec et d’entreprendre une enquête officieuse sur le suicide d’une élève d’une prestigieuse école privée de la Capitale. Et tout ça, pour rendre service à son patron toujours épris de la mère de la jeune fille. Car la mère ne peut accepter le verdict du suicide. Vicky se penchera sur les circonstances du drame, espérant aider la mère éplorée à se résigner à la triste vérité. Or, les choses ne se passeront pas comme prévu. Ses investigations se ramifieront et des liens se tisseront entre ce suicide et un autre, celui d’une jeune fille de 12 ans ayant sauté du toit de l’école deux ans plus tôt. De plus, certains éléments non résolus du passé de Vicky referont surface et menaceront son objectivité et son efficacité. 

Il y a longtemps, depuis la trilogie Le goût du bonheur, que je n’avais pas eu autant de plaisir à lire Marie Laberge. Cette troisième enquête, Affaires privées, mettant en vedette Vicky et Patrice, son complice français, me semble plus aboutie que la précédente dont je n’ai pas fait écho dans mon blogue. Ici, l’auteure démontre qu’elle a du souffle, qu’elle sait jongler avec la complexité des êtres. Son héroïne avance à coups de présomptions et d’hypothèses que chaque nouvel indice réorganise pour cerner les coupables et éclairer leurs mobiles.

L’écriture de Marie Laberge est simple, claire et efficace. Pas d’envolées lyriques ni d’images étonnantes. Le ton me semble juste, sa sobriété cohérente avec le sujet et le genre.

Affaires privées est un bon roman policier qui éclaire les strates sombres de l’humanité où grouille la vermine. Un univers dont on peine à imaginer et à accepter la trop réelle existence.

Voyez ce qu’en dit Manon Demain dans le Devoir ouValérie Lessard dans la Presse

Marie Laberge, Affaires privées, 2017, Québec Amérique, 527 pages

Kerr: Histoire et frissons

Ouvrir un livre de Kerr, c’est lire une page d’histoire tout en savourant le plaisir d’une intrigue magnifiquement ficelée. Dans La mort, entre autres, Gunther, ex-commissaire de police, se démène une fois de plus dans l’Allemagne maintenant occupée (1949), gangrenée par la fièvre des règlements de compte d’après-guerre de tous genres, dans le vacarme assourdissant du Munich en reconstruction.

KerrGunther, hôtelier en dilettante à la suite de la mort de son beau-père et de l’hospitalisation de son épouse, reprend du service comme détective privé. Il sera entraîné, malgré lui, par une femme (son talon d’Achille) dans la chasse aux ex-nazis auxquels il sera vicieusement assimilé. Il ne devra sa survie qu’à ses réflexes de policier et à sa rage de vivre. Ici encore, les horreurs de la guerre et des camps ne nous seront pas épargnées. Il sait par ailleurs mettre en scène l’extrême complexité des problèmes de conscience des Allemands confrontés à leurs responsabilités dans l’histoire récente de leur pays, les intérêts divergents des nations et des groupes ethniques concernés, chacun cherchant à profiter de la confusion qui règne pour tirer son épingle du jeu, le rôle ambigu et peu reluisant de l’Église catholique dans le sauvetage des nazis anxieux d’échapper à la justice. À la fin du livre, Kerr prend toujours soin de mentionner les principaux faits historiques qui ont inspiré sa fiction.

L’âpreté des scènes et la rudesse des protagonistes sont habilement contrebalancées par l’intarissable sens de l’humour de l’auteur, lequel se surpasse dans la description imagée et presque surréaliste des personnages. Deux petits extraits pour en témoigner :

À propos de deux policiers autrichiens :

« Ils étaient vêtus de cols roulés et de pantalons de ski. L’un d’eux était plus jeune. Ses cheveux bruns étaient collés, comme si le coiffeur venait de les enduire d’huile capillaire ou de brillantine, ou pourquoi pas d’une poignée d’amidon. Il avait des sourcils qui faisaient penser aux doigts d’un singe et de grands yeux marron qui n’auraient pas déparé une variété de gros chiens, tout comme le reste de sa figure.»

« Je m’approchai de l’opérateur. Il avait un nez en forme de manche à air et les cheveux tendance blaireau – gris en surface et plus sombres dans l’épaisseur. »

Cet humour se teinte d’un cynisme prononcé et réjouissant dans la bouche du détective aux prises avec des personnages antipathiques ou carrément répugnants.

En fin de compte, Kerr rattache habilement tous les fils apparemment flottants de l’histoire dans une fin haletante. On n’a alors qu’une idée, ouvrir le roman qui nous racontera la suite de cette aventure.

Philip Kerr, La mort, entre autres, Livre de poche, 2009, 565 pages