Le rêve méconnu

Le rêve méconnu

À la lecture de la biographie de Champlain, une question se pose inévitablement : que s’est-il donc passé dans l’histoire de notre pays pour qu’un début aussi prometteur tourne au cauchemar que nous constatons, soit la méconnaissance, le mépris et le génocide culturel des peuples autochtones ?

Le rêve de Champlain de David Hackett Fisher, renommé professeur d’histoire américain, se lit comme un roman. L’auteur nous livre une biographie fouillée, nuancée et très crédible du père de la nation québécoise. Il nous apprend que la pensée de Champlain s’inscrivait dans un courant humaniste assez important à son époque. Il nous fait découvrir un homme porté par un idéal, celui d’un monde où tous vivraient en harmonie, catholiques et protestants, Blancs et « Sauvages* ». Champlain lui-même avait migré du protestantisme au catholicisme, tout comme le roi Henri IV qui avait mis fin aux terribles guerres de religion par l’Édit de Nantes. Champlain n’avait rien contre les mariages mixtes de toutes natures et favorisait même les unions entre ses colons et les Amérindiennes, seules femmes alors présentes sur le territoire. 

La somme historique de Fisher couvre toute la vie de Champlain, de sa naissance, à Brouage, à sa mort à Québec, ses nombreux voyages dans le Nouveau-Monde, son acharnement à fonder une colonie en sol américain, et ce, sur la base des écrits d’époque dont, pour notre plus grande chance, ceux de Champlain lui-même. En effet, celui-ci a produit d’innombrables documents et plusieurs livres pour convaincre les décideurs et les commanditaires d’appuyer et de financer l’aventure de la colonisation des rives du Saint-Laurent. Quoi qu’on pense des visées colonialistes du 17e siècle, le fait est qu’elles donnèrent lieu à ce pays qui est le nôtre. Sa genèse en est nécessairement passionnante.

Les Français s’étaient délibérément installés à proximité des Indiens et ils les fréquentaient volontiers. Dans cet immense pays, ils n’ont pas essayé de déposséder les Indiens ou de les éloigner. Au contraire, les chefs français à Port-Royal invitaient les sagamos indiens à leur table et ils mangeaient et buvaient avec eux comme s’il s’était agi de leurs égaux. En retour, les Micmacs traitaient les Français en bons voisins. Les uns invitaient les autres à leurs festins et tabagies, comme Champlain l’avait fait à Tadoussac et plus tard sur la Penobscot. Dans ces festivités, les Français étaient prompts à adopter les coutumes indiennes, avec leurs harangues, leurs danses et leur tabac. Les Micmacs organisèrent des fêtes, et les Français leur rendirent la pareille. On était ici très loin des Anglais du Massachusetts et de la Virginie qui s’étaient installés à l’écart des Indiens, les tenaient à distance, annexaient de vastes terres et les considéraient avec méfiance et mépris. (p. 255)

Je dois confesser que je n’ai lu que les 605 premières pages de cette brique qui en comptent 999. Cette première partie concerne la biographie elle-même. La suite est constituée de 16 appendices couvrant des sujets plus pointus, tels que la liste exhaustive des voyages de Champlain, les compagnies de commerces et les monopoles ou les types de monnaie à l’époque de la Nouvelle-France (282 pages), une imposante bibliographie (69 pages) et un index (26 pages). Ce choix éditorial a l’avantage de garder l’attention du lecteur sur le sujet principal tout en offrant un supplément d’information aux intéressés.

David Hackett Fisher, Le rêve de Champlain, Boréal Compact, 2008, 999 pages

*Notez que cette appellation n’avait pas la connotation négative qu’elle a acquise au fil du temps. Le terme sauvage s’appliquait aux peuples qui vivaient dans la forêt, sans plus. 


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