Je vous présente brièvement aujourd’hui deux tout petits bouquins qui nous invitent à décrocher de notre matérialisme pour appréhender le réel autrement.
D’abord, L’âme du monde I du très médiatique philosophe qu’est Frédéric Lenoir. J’ai eu l’occasion de vous parler de la biographie qu’il a commise à propos du psychanalyste Carl Jung, Jung, un voyage vers soi, et deux romans, Nina et La promesse de l’ange. Avec l’Âme du monde I, Lenoir s’aventure dans le conte philosophique.

Sept sages représentant autant de courants philosophiques et spirituels — une femme chamane, une philosophe européenne, une mystique hindoue, un maître taoïste chinois, un rabbin kabbaliste juif, un moine chrétien, un maître soufi musulman — sont mystérieusement appelés à se rendre dans un monastère juché comme dans une montagne du Tibet. Ils y sont accueillis par un jeune moine tibétain de 13 ans qui dirige le monastère. Une autre enfant complète le groupe, une jeune fille également âgée de 13 ans, qui accompagne sa mère. Les sages, confrontés à une menace imminente susceptible de rayer de la surface du globe une grande partie de l’humanité, décident de se mettre d’accord sur les fondements universels de la sagesse, en dehors de tout dogme, et de les transmettre aux deux enfants. La mise en place est terminée et l’enseignement commence, une grande vérité par jour. Elles seront au nombre de sept. Sept sages, sept jours… Bien sûr, je ne vous révélerai pas ces vérités, sinon, quel intérêt à lire ce livre ?
Malgré l’envergure du sujet, l’œuvre est facile de lecture. Lorsque les sages entreprennent leur enseignement, leur individualité disparaît. Chaque paragraphe commence par « Un sage prit la parole et dit : » donnant au texte un ton incantatoire et solennel qui sied bien au projet.
Au matin du cinquième jour, tandis que les sages entraient dans la salle commune, toutes les cloches du monastère se mirent à sonner sans intervention humaine. Un vieux lama, qui avait des dons divinatoires, interpréta ce signe comme de mauvais augure. Il le relia à la mystérieuse fuite des mouflons. « Par deux fois le destin nous a avertis qu’une force sombre est à l’œuvre dans le monde et qu’elle nous atteindra bientôt », dit-il sans autre commentaire avant de reprendre la récitation de ses prières. (p. 44)
Ceci étant dit, je ne sais pourquoi, je suis peu perméable à ce type de texte. Bien qu’il soit très court, environ 150 pages, j’ai mis du temps à le terminer. Je considère néanmoins que Lenoir est un philosophe sérieux et un érudit. Il ne parle pas au travers de son chapeau. Il tente ici une ambitieuse synthèse des points communs entre divers modèles de pensée, une réflexion qui dépasse en pertinence le texte de ces gourous autoproclamés qui polluent le monde de la quête existentielle. Ce livre est peut-être pour vous.
Frédéric Lenoir, L’Âme du monde I, Pocket, 2012, 152 pages
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Tant que le café est encore chaud, de Toshikazu Kawaguchi, nous amène ailleurs, dans un monde moins éthéré et résolument humain sans pour autant être esclave du réel. Nous entrons dans un petit café situé dans le sous-sol d’un immeuble, un café si bien caché qu’il n’attire que ceux et celles ayant eu vent de la rumeur qui court à son sujet. En effet, il semble que l’on puisse y retourner dans le passé ou visiter le futur sans pour autant pouvoir changer quoi que ce soit aux événements passés ou à venir. Quel intérêt alors, me direz-vous ? C’est aussi la question que se poseront certains personnages qui ne renonceront pas pour autant à ce voyage temporel.

Le texte nous présente quatre histoires distinctes — Les amoureux, Les époux, Les sœurs, La mère et l’enfant. L’expérience vécue par chacun des « voyageurs » les transformera en profondeur. Sans en révéler davantage, disons que ça parle de deuil, de résilience, d’ouverture et de pardon. Le genre de petit livre qui fait du bien à l’âme. Pourvu que vous ayez un peu de tolérance avec l’invraisemblance, la magie.
Kazu versa lentement le café dans la tasse. Bien que ce soit inconscient de sa part, ses gestes avaient la grâce et la noblesse d’un rituel.
En même temps que les volutes de vapeur s’élevaient de la tasse, les alentours de la table de Fumiko commencèrent à se distordre. Prise de peur, la jeune femme ferma les yeux, mais cela ne fit qu’intensifier la sensation qu’elle ondulait elle aussi.
Elle serra les poings plus fort. N’allait-elle pas se transformer en filet de vapeur et disparaître sans pouvoir retourner dans le passé ni dans le présent ? Tourmentée par cette crainte, Fumiko repensa tout à coup à sa première rencontre avec Gorô. (p. 51)
Toshikazu Kawaguchi, Tant que le café est encore chaud, Le livre de poche, 2015, 239 pages








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