« Trois jours après ma naissance, en sortant de l’hôpital, ma mère est allée me porter chez ses parents pour quelques jours. Elle détestait pourtant son père. Il l’a battue durant toute son enfance, comme ses frères et ses sœurs.
Un matin, une sœur de ma mère qui habitait encore chez mes grands-parents l’a appelée. Elle la suppliait de venir me chercher. Je passais au cash et je n’avais pas un mois. Il s’est alors inscrit dans mon inconscient une information qui m’habite depuis : l’égalité des chances est une joke. »

Ainsi débute le récit de Jean-François Pleau, Rue Duplessis. Ma petite noirceur. Un coup de poing. Mais ce n’est pas le but. L’auteur nous raconte son histoire sans colère, pour comprendre et pour faire comprendre l’impact délétère de la pauvreté sur ceux qui la subissent. Précarité économique qui se répercute sur tous les autres aspects de la vie.
Pleau se décrit comme un transfuge de classe, c’est-à-dire comme quelqu’un qui est passé de la classe ouvrière à une autre classe qu’il qualifie de bourgeoise. Antidote définit aussi le transfuge comme étant un militaire qui déserte pour passer au camp ennemi. Il y a donc une connotation de traîtrise associée à cette position de la part des membres de la classe d’origine et du transfuge lui-même.
Bien que sociologue de formation, cette oeuvre de Jean-François Pleau évite l’exposé théorique. Chacune des phrases, chacun des souvenirs évoqués par l’auteur pour appuyer son propos sont arrachés à un passé parfois douloureux, parfois heureux. Ça parle de honte de ses origines, du long chemin d’acceptation, de la réappropriation de sa culture originelle. On est touché par ce courage de dire au risque d’être rejeté (et ça se produit.) Aucun pathos pourtant. Les faits, leur effet. C’est implacable et déchirant. Quant au ton, au style, vous en avez un échantillon en début de texte. Il est chirurgical. L’écriture comme un couteau (titre d’un livre d’Annie Ernaux auquel se réfère souvent l’auteur).
J’ai été saisie par la réalité sociologique décrite par Jean-François Pleau. J’avais l’impression qu’il évoquait la génération de mes parents. Pourtant, il a l’âge de mes enfants. Quand on a eu la chance de bénéficier d’un contexte favorable à une certaine ascension sociale, on peut avoir tendance à oublier que la pauvreté est encore présente. Ce récit nous rappelle brutalement cette réalité. Ça secoue. On ne peut pas lâcher le livre une fois qu’on l’a commencé. Un gros, gros coup de cœur.
Voir l’article de Christian Desmeules dans Le Devoir ou de Marc Cassivi dans La Presse









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