Vanessa Springora et le mystère de son Patronyme

Patronyme ou nom propre dans le langage familier. Propre peut vouloir dire à soi, dans ce contexte, mais aussi exempt de saleté, dans son sens général. C’est de tout cela que nous parle Vanessa Springora qui a fait une entrée fracassante dans le monde littéraire en 2020 avec Consentement, ce livre-déflagration qui mettait au jour les abus sexuels dont elle avait été victime à son adolescence. Déflagration parce qu’elle pointait le réflecteur sur son abuseur, l’écrivain Gabriel Matzneff, dont les habitudes outrageuses étaient connues et bénéficiaient d’une tacite complaisance de la part du milieu littéraire. Déflagration, parce qu’après la sortie de ce livre, l’écrivain-vedette était devenu un paria.

Patronyme est le résultat d’une démarche d’enquête relative au nom de famille de l’autrice. À la mort de son père, elle exhume des documents qui lui étaient étrangers jusqu’à ce moment, documents qui instillent en elle des interrogations qui deviendront envahissantes. Elle sait que son grand-père est originaire de la Tchécoslovaquie et qu’il y était interdit de visite. Pour le reste, elle ne peut se fier aux légendes délirantes de son père avec qui elle entretenait des relations des plus distantes. Sa laborieuse investigation la mènera jusqu’à Zábřeh, le village natal du grand-père, et lui fera découvrir un passé troublant. Le mystère qui entourait les origines de sa famille et de ce fameux patronyme (Springer, dans les faits) se dissipera en partie. Elle découvrira également que son père n’était pas celui qu’elle croyait être et qu’il menait une double vie. Par-delà la recherche des faits, Patronyme est une réflexion sur le sens du nom de famille dont on hérite du père.

Extrait

Un nom à soi, c’est ce qu’on en fait. Chacun y met le sens qu’il souhaite, s’invente sa propre légende. Pourquoi n’aurais-je pas le droit de m’arranger un peu à mon tour avec la vérité ? J’ai choisi d’être celle qui parle et qui témoigne, celle qui raconte. C’est une des étymologies du nom Springer, « répandre la parole ». Si je n’ai pas réussi à combler toutes les lacunes de la vie de mon grand-père, je sais ce que ce voyage m’a appris. Cette ombre que je sentais toujours me précéder, c’est celle de la violence des hommes qui n’en finit jamais de ruiner des vies, de tout saccager, et qui revient inexorablement frapper à nos portes. (p. 343)

Patronyme est un livre très intéressant, tracé d’une plume élégante, lente, réflexive. L’autrice met au jour des secrets et des tabous familiaux, nous rappelant que nos histoires de familles sont souvent plus complexes qu’on le croit. La portée de cette œuvre est plus restreinte que Consentement qui touchait à la question de l’asujettissement des femmes. Reste que ce récit-enquête ranime des pages d’histoires dont la suie ne cesse de salir le présent.

Vanessa Springora, Patronyme, Grasset, 2025, 365 pages


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