D’or et de jungle, le dernier opus de Jean-Christophe Rufin, nous fait vivre une expérience à la fois intéressante et glaçante : un coup d’État dans un petit pays d’Asie.
Mais rappelons brièvement qui est Jean-Christophe Rufin. D’abord un auteur prolifique, membre de l’Académie française. Mais aussi, un ancien ambassadeur qui a sillonné le monde tant dans le cadre de ses fonctions que pour son plaisir personnel. Son expérience géopolitique lui donne toute autorité pour décrypter les rouages qui mèneront le Brunei au bord de l’implosion.

Ronald a travaillé dans le monde opaque d’une agence de sécurité américaine dont il a été éjecté après l’échec cuisant de la mission qui lui avait été confiée à Madagascar. Il décide donc d’ouvrir sa propre agence et d’hameçonner un gros client, un très très gros client, en fait. Il est au courant des tractations des dirigeants de la Silicon Valley voulant se doter d’une ville qui échapperait au contrôle de l’État. Il va leur offrir bien mieux : mettre la grappin sur un petit pays qu’ils domineront en sous-main en faisant du chef d’État leur marionnette. Nous embarquons donc dans la préparation de ce coup d’État. Ronald fédère des sommités dans leur domaine respectif, dont un professeur de science politique à la retraite qui a élaboré une théorie à cet effet. Comme une araignée, l’équipe tisse patiemment sa toile. L’action est lente, mais tout de même sans longueur. Et soudain, page 293, la manoeuvre se met en branle dans le pays cible et s’accélère jusqu’au dénouement. Et bien sûr, ça ne se passe pas tout à fait comme prévu…
Bien qu’il s’agisse d’une véritable fiction et que le Brunei n’ait jamais été visé par un coup d’État, le fond de l’histoire se base sur des faits véridiques, vérifiés et tellement d’actualité. Qu’on pense au désir des maîtres de la techno de se soustraire à l’autorité de l’État, à ces agences qui agissent dans l’ombre au profit des puissances étrangères, en accord avec les intérêts américains, à l’éclatement des frontières terrestres et celles censées protéger les données. Par ailleurs, nous ne sommes pas très émus par les personnages qui sont relativement peu développés. Ce n’est pas le but. Rufin veut surtout nous faire la démonstration de la mécanique infernale mise en place par l’argent de la technologie et dont les populations qui en sont victimes ne soupçonnent rien. Glaçant, je vous dis ! Et tout ça d’une plume de maître qui donne l’impression qu’écrire, c’est facile en fin de compte.
Extrait
– Il faut que je te raconte quelque chose, dit enfin Marvin. Mais c’est vraiment confidentiel. Je participe à un petit groupe informel, à Palo Alto. On se réunit de temps en temps, rien de régulier, mais on est en contact les uns avec les autres, une vingtaine de personnes tout au plus. Il y a des dirigeants de boîtes de la Silicon Valley. Musk vient parfois et Bezos aussi. Mais il y a aussi des gens moins connus qui occupent des postes importants dans nos secteurs. Des hommes et des femmes. Leur point commun, c’est que ce sont tous des libertariens convaincus. Ils croient à la liberté absolue et pensent que l’État n’a pas le droit de la limiter. Leur conviction est qu’il faut le contrôler pour l’empêcher de nuire.
[…]
Construire une ville à nous. Ne plus rester englués en Californie, qui est en train de devenir un enfer. L’immigration, la pauvreté, la violence et ce crétin de gouverneur qui aggrave les choses et nous fait cracher pour payer ses erreurs. (p. 42)
Un livre vraiment intéressant, qui donne l’impression que la terre n’est qu’un petit caillou dans la main de forces puissantes et occultes. Rien pour nous tranquilliser. Et pourtant, on pourrait se dire en refermant le livre que, plus ça change, plus c’est pareil.
L’avis du Devoir
Jean-Christophe Rufin, D’or et de jungle, Calmann Levy, 2024, 443 pages









Laisser un commentaire