Le vent en parle encore, de Michel Jean, est une histoire dĂ©chirante et nĂ©cessaire. MĂȘme sâil est antĂ©rieur Ă Kukum , grand succĂšs de librairie, rĂ©compensĂ© de plusieurs prix, Le vent en parle encore en constitue une suite temporelle. Ă la fin de Kukum, les forces fĂ©dĂ©rales dĂ©barquaient Ă Mashteuiatsh (anciennement Pointe-Bleue), au Lac-Saint-Jean, pour sâemparer des enfants innus afin de les amener dans des pensionnats. Dans Le vent en parle encore, nous vivons ce dĂ©racinement et la souffrance indicible des petits et des plus grands. Michel Jean ne nous Ă©pargne pas la cruautĂ© quotidienne, les humiliations, les violences physiques et sexuelles, incluant les viols, pratiquĂ©s par certains des prĂȘtres et des religieuses Ă qui on avait confiĂ© la mission de «âsortir lâindienâ» de ces enfants.

Le rĂ©cit est fait dâallers-retours dans le temps, entre 1936, annĂ©es de lâouverture du pensionnat de Fort Georges, et MontrĂ©al, Ă lâĂ©poque de lâĂ©criture du livre. En 1936, Marie et ValĂ©rie, adolescentes et amies insĂ©parables, reviennent de leur tournĂ©e quotidienne des collets lorsque le ciel leur tombe sur la tĂȘte. Tous les enfants du village sont embarquĂ©s dans un autobus, puis un avion, direction Fort Georges, Ă des milliers de kilomĂštres de leur famille. Elles y vivront lâenfer dans une nature hostile. ValĂ©rie sây fera un amoureux, Charles, un garçon solitaire, mais courageux. Ă MontrĂ©al, presque 80 ans plus tard, Audrey Duval, jeune avocate, sâest donnĂ© comme mission de retrouver tous les anciens pensionnaires de Fort Georges pour les faire bĂ©nĂ©ficier des compensations financiĂšres accordĂ©es par le gouvernement canadien Ă la suite de la Commission de vĂ©ritĂ© et de rĂ©conciliation. Sur sa liste, il ne reste que quelques noms. Marie vivrait dans lâextrĂȘme Est-du-QuĂ©bec, chez les Innus de Saint-Augustin. Les deux autres se sont Ă©vaporĂ©s dans la nature. La derniĂšre trace administrative les concernant est celle de leur inscription au pensionnat. La quĂȘte dâAudrey permettra de lever le voile sur ce mystĂšre et dâapporter un certain apaisement Ă certains des survivants du rĂ©cit.
Toute personne qui a un tant soit peu suivi lâactualitĂ© au moment de la Commission de vĂ©ritĂ© et de rĂ©conciliation connaĂźt dĂ©jĂ les sĂ©vices auxquels les enfants autochtones ont Ă©tĂ© exposĂ©s dans les pensionnats. Mais, le talent de Michel Jean, sa grande sensibilitĂ©, sa langue souvent poĂ©tique transforme des faits en Ă©motions. Nous sommes profondĂ©ment touchĂ©s par cette fiction qui est justement si peu fictive. Il sait aussi faire la place quâil mĂ©rite Ă un autre protagoniste si important dans la culture innue, le territoire.
Extrait
Virginie et Marie ne sont pas les seules que la fĂ©brilitĂ© a gagnĂ©es. La fiĂšvre sâest emparĂ©e de toute la communautĂ©. Et elle sâintensifie Ă mesure que lâheure du dĂ©part approche. AprĂšs un Ă©tĂ© Ă Pointe-Bleue, sur les berges du grand lac, les Innus se prĂ©parent Ă entreprendre la migration annuelle vers leurs territoires de chasse hivernaux. BientĂŽt, ils se disperseront dans la forĂȘt pour ne revenir quâĂ la fonte des glaces. Le voyage prendra Ă chaque clan de quatre Ă six semaines en moyenne, selon la distance Ă parcourir pour atteindre leurs territoires respectifs. Il faudra remonter le courant, franchir de nombreux rapides, endurer les portages longs et ardus pendant lesquels ils devront escalader des montagnes abruptes. Chacun suivra ainsi son chemin, tracĂ© au fil des gĂ©nĂ©rations. […] MalgrĂ© les difficultĂ©s que tous connaissent dâavance, personne ne perçoit cela comme une Ă©preuve. Au contraire. Ce rituel est une maniĂšre de vivre. Comme pour les oiseaux migrateurs, les jours plus courts et le temps frais annoncent le grand dĂ©part, et chacun sây prĂ©pare avec fĂ©brilitĂ©. Il faut planifier les vivres, les vĂȘtements, prĂ©parer les canots et tant dâautres choses. Une fois en route, chaque famille ne pourra compter que sur elle-mĂȘme. BientĂŽt, Mashteuiatsh sera dĂ©sertĂ© et seuls ceux qui se sentent trop faibles pour entreprendre la grande migration, resteront derriĂšre. (p. 31)
Ă lire absolument pour comprendre ce drame de lâintĂ©rieur.
Michel Jean, Le vent en parle encore, Libre Expression, 2013, 215Â pages









Laisser un commentaire