Spinoza et sa quête de vérité

Une fois encore, J. R. Dos Santos a su me captiver par son mélange de fiction et d’éducation. Il s’agit ici de l’histoire imaginée du grand philosophe que fut Spinoza. L’auteur nous transporte à Amsterdam, au milieu du 17e siècle. Ailleurs, en Europe, l’Inquisition entretient encore ses feux alors que bouillonne aux Pays-Bas un maelström de liberté et d’érudition. Différentes religions s’y côtoient plus ou moins harmonieusement. Les philosophes y trouvent matière à réflexion dans le sillage de Descartes et de Hobbes. Un controversé courant de pensée met en avant la prédominance de la raison dans la compréhension des phénomènes naturels. C’est dans ce contexte que grandit le jeune Bento, membre de la communauté juive séfarade de langue portugaise qui a fui son pays d’origine pour ne pas devoir se convertir au catholicisme. Bento fréquente assidûment la synagogue où les rabbins ne peuvent manquer de remarquer sa très vive intelligence et voient en lui un grand destin au sein de la communauté. Or, Bento ne peut se contenter des enseignements qu’on lui prodigue sans se poser des questions sur l’infaillibilité de la Bible. Des questions qui dérangent. Tant de choses lui paraissent illogiques dans le récit mythique biblique soi-disant dicté par Dieu lui-même. De fil en aiguille, le jeune homme fera des rencontres marquantes qui ouvriront ses horizons et lui feront formuler des opinions jugées hérétiques du point de vue des autorités religieuses. Il sera excommunié et exclu de sa communauté. Mais il poursuivra sa quête de vérité et développera une compréhension de l’univers et de l’homme excluant toute intervention divine et l’existence même de Dieu, mettant ainsi sa propre survie en jeu.

Sur la base des quelques faits connus de la vie de Spinoza et d’une recherche approfondie sur les plans historiques et philosophiques de l’époque, l’auteur nous propose une biographie passionnante de Spinoza. Comme à son habitude, il profite de toutes les occasions pour expliquer la pensée du philosophe révolutionnaire. Chez Dos Santos, l’intention pédagogique prédomine toujours l’intention romanesque . Une note finale d’une vingtaine de pages conclut ce travail éducatif en résumant les apports de Spinoza à la pensée philosophique de son temps et son influence sur ses successeurs, et ce, jusqu’à nos jours.

Extrait

Il allait donc devoir être meilleur qu’il ne l’avait été jusqu’alors. L’incapacité d’un homme à maîtriser, ou à limiter, ses émotions est une servitude, pensa-t-il, car l’homme qui se laisse contrôler par celles-ci n’est pas maître de lui-même, mais esclave du destin qui le conduit vers le pire chemin, même s’il voit qu’il en existe un meilleur. Il allait donc devoir dompter ses émotions, car ces dernières l’asservissaient. Le moyen d’y parvenir était la méthode proposée de Maïmonide à Bacon, de Machiavel à Galilée, de Hobbes à Descartes : l’exercice de la raison. Seule la raison lui permettrait d’atteindre la véritable joie, puisqu’elle n’est rien d’autre que le passage, pour l’homme, d’une perfection moindre à une perfection plus grande. Dans la mesure où Bento entendait par réalité et par perfection la même chose, il n’atteindrait la joie qu’après avoir compris l’essence de la réalité. C’est ainsi qu’il accéderait à la perfection. À la joie. (p. 331)

Décidément, Dos Santos, un pédagogue né, ne me déçoit jamais. Les petits irritants liés à certaines invraisemblances dans le récit sont toujours largement compensés par sa capacité à nous instruire, dans le plaisir, de sujets parfois difficiles ou arides. Dans ce récit, il sait rendre faciles des sujets philosophiques exigeants. À lire pour toute personne que la philosophie intimide, mais intéresse.

J. R. Dos Santos, Spinoza. L’homme qui a tué Dieu, Pocket, 2023, 711 pages


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