AprĂšs mâĂȘtre dĂ©lectĂ©e dâun certain nombre de livres de John le CarrĂ©, jâai satisfait ma curiositĂ© Ă propos de son bouquin le plus autobiographique, Un pur espion.
Un pur espion reste le prĂ©fĂ©rĂ© de tous mes romans, celui sur lequel jâai suĂ© sang et eau et donc, au bout du compte, le plus gratifiant, nous dit lâauteur en Avant-propos, et pour ma part, le plus rĂ©ussi de ses romans dâespionnage. Certains chefs-dâĆuvre de la littĂ©rature ne sont-ils pas souvent basĂ©s sur lâexpĂ©rience personnelle de leur auteur, comme Ă la recherche du temps perdu de Proust ou toute lâĆuvre du prix Nobel de littĂ©rature, Patrick Modiano?

Le rĂ©cit commence au moment oĂč traquĂ©, Magnus Pym sâenfuit pour Ă©crire un livre, lâhistoire de sa vie, celle du fils de Rick Pym, un escroc de grande envergure, et dâune mĂšre fragile qui abandonne son enfant Ă lâĂąge de 5 ans. Ce qui correspond en tous points Ă lâhistoire de David Crownwell, nom vĂ©ritable de John le CarrĂ©. Lâenfance et lâadolescence de Magnus sont tissĂ©es de pĂ©riodes au sein du foyer oĂč se succĂšdent les femmes, que lâauteur nomme indistinctement les mĂšres ou les BeautĂ©s, oĂč gravite toute une cour de crapules dont certaines seront Ă©ternellement fidĂšles au roi rĂ©gnant, et de passages dans des Ă©coles de styles carcĂ©rales, oĂč le fouet est quotidien. Pour survivre, Magnus-David met toute son Ă©nergie Ă plaire avec chaque fibre de son ĂȘtre, apprend Ă dissimuler, Ă fouiner, Ă ĂȘtre lisse, aimable, policĂ©e.
Magnus a donc tout ce quâil faut pour devenir espion et pratiquera son art avec la naĂŻvetĂ© et lâidĂ©alisme qui le caractĂ©risent. Mais alors mĂȘme que son mentor de la Firme, Jack Brotherwood, le dĂ©couvre et le met Ă lâessai, Magnus se lie dâamitiĂ© avec un mystĂ©rieux rĂ©fugiĂ© dâorigine tchĂšque, Axel. Trahi par Magnus, Axel est arrĂȘtĂ©. Quelques annĂ©es plus tard, la vie les remet face Ă face. Sâil nie sa trahison, Magnus nâaura de cesse de se racheter auprĂšs de celui-ci et sâengagera ainsi dans la dangereuse carriĂšre dâagent double.
La maniĂšre dont le rĂ©cit est structurĂ© laisse pantois. LâagilitĂ© des aller-retour entre diffĂ©rents moments du passĂ© et du prĂ©sent, la multiplicitĂ© des lieux, la vĂ©racitĂ© et la profondeur des personnages : du grand art. Quant au style, il atteint des sommets.
Herr Ollinger paraissait sans Ăąge, mais je sais aujourdâhui quâil devait avoir la cinquantaine. Il avait le teint terreux, le sourire empreint de regrets et les joues pendantes et plissĂ©es comme les fesses dâun vieillard. MĂȘme lorsquâil eut enfin acceptĂ© que son siĂšge ne soit pas occupĂ© par quelque ĂȘtre supĂ©rieur, il entreprit dây installer son corps rond avec tant de prĂ©cautions quâil semblait attendre dâen ĂȘtre dĂ©logĂ© Ă tout moment par quelquâun de plus mĂ©ritant.
Un pur espion est un grand roman et une fenĂȘtre entrouverte sur les circonstances qui ont façonnĂ© lâhomme derriĂšre lâĆuvre.
John le CarrĂ©, Un pur espion, Ăditions du Seuil, 1986 pour la traduction française, 632 pages.








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