Richard Powers est un auteur dérangeant. J’avais lu son dernier livre, paru en français en 2018, couronné du prix Pulitzer en 2019, L’arbre-monde. Celui-ci, Sidérations, paru en 2021 est présenté comme la suite du premier. Je viens de le refermer et j’en suis toute bouleversée.
Le propos

Sidérations se situe dans un futur indéfini, mais qui laisse à penser qu’il n’est pas si loin. L’action se passe aux États-Unis et le pays ne va pas bien. Des phénomènes météorologiques extrêmes s’abattent ici et là. Des épidémies incontrôlables déciment les cheptels élevés en confinement et les virus se transmettent aux humains. Le président a magouillé les élections pour se faire réélire. La science n’a plus la cote. Elle doit se vendre au privé pour survivre, perdant du coup tout contrôle sur l’usage fait de ses avancées et de ses découvertes.
Dans cet univers dystopique, un père élève seul son fils, Robin, après la mort accidentelle de sa femme. Or Robin n’est pas comme tout le monde. Ses comportements sont peu compatibles avec la vie en société. Il est, entre autres, ultra-sensible à toutes atteintes à la nature, au vivant, provoquant chez lui des crises homériques. Les occasions ne manquent pas. On pense au syndrome de l’autisme de type Asperger, sans pour autant que le père accepte quelque étiquette que ce soit. Son fils est unique, hors norme. Et pourquoi pas ? La direction de l’école insiste pour qu’il soit médicamenté, ce à quoi s’oppose énergiquement son père. Mais la pression est si forte que le père tentera sa chance du côté d’un traitement expérimental, non médicamenteux, qui intervient directement sur la programmation du cerveau. Les résultats sont prodigieux, mais…
Sidérations est à la fois un hymne à la beauté de notre univers et un cri d’angoisse, presque de désespoir, au sort qui lui est fait. N’empêche, alors que j’avais mis un peu de temps à entrer dans L’arbre-monde, j’ai été happée dès les premières lignes par ce livre où se côtoient l’angoisse environnementale et l’amour paternel inconditionnel, et qu’irradie l’esprit lumineux d’un enfant dont les troubles ne sont que le négatif de la photo d’un monde qui s’en va à vau-l’eau.
L’extrait
Le pays était tellement instable quand nous étions partis qu’après des jours de réseau irrégulier j’appréhendais ce qui nous attendrait au retour. J’attendis qu’on soit sortis du Tennessee pour mettre les infos. Au bout de deux gros titres, je le regrettai. L’ouragan Trent, avec des vents de cent cinquante kilomètres à l’heure, avait rendu à la mer une bonne part de la péninsule sud-est de Long Island. Les flottes américaine et chinoise jouaient au cache-cache nucléaire au large de l’île de Hainan. Un paquebot de dix-huit étages baptisé La belle des mers avait explosé dans le port de Saint John’s à Antigua ; il y avait des dizaines de morts et des centaines de blessés parmi les passagers. Plusieurs groupes terroristes en revendiquaient la responsabilité. À Philadelphie, dans une guerre attisée par les réseaux sociaux, les milices de la Vraie Amérique avaient attaqué une manifestation des Humains Unis pour l’Égalité, faisant trois morts. (P. 66)
Encore une fois, je suis saisie par le clivage qui sévit chez notre voisin du sud. Ce pays est comme coupé en deux. D’une part, une droite de plus en plus radicale et d’autre part, des gens qui ont toute mon admiration, des penseurs, des chercheurs de très haut niveau. Entre les deux, la population ordinaire… qui peut faire pencher la balance… Espoir et angoisse. Et ce qui est vrai chez eux l’est aussi chez nous, en moins apparent… Vigilance!
Richard Powers, Sidérations, Actes Sud, 10/18, 2021, 403 pages








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