De noir et de rouge

Deux lectures, coup sur coup. Deux univers. Les mêmes thèmes: la violence et l’amour.

D’Allemagne

Le liseur de Bernhard Schlink publié en 1999 n’a pas pris une ride. L’histoire m’en était familière, mais je ne sais plus si c’est parce que j’avais déjà lu ce bouquin ou que j’avais vu le film qui en a été tiré. Je ne trouve pas trace d’un compte rendu dans ce blogue. Le liseur, donc, narre la rencontre et l’improbable relation amoureuse entre un adolescent de quinze ans et une femme de 35 ans croisée par hasard. Un jour, Hanna — c’est son nom — disparaît mystérieusement. Le narrateur la retrouvera, tout autant par hasard, en suivant, à titre d’étudiant en droit, un des procès qui ont succédé à la Deuxième Guerre mondiale. Les faits évoqués servent d’assise à l’auteur pour s’interroger sur l’amour, la loyauté, et pour sonder le grand traumatisme que fut pour le peuple allemand le régime fasciste et la révélation, à la face du monde, des camps d’extermination. Ce sujet qui hante encore les Allemands aujourd’hui continue d’alimenter l’œuvre de Schlink jusque dans ses plus récentes publications.

J’adore l’écriture de Schlink, sa phrase sobre et efficace, et surtout j’aime sa pensée complexe, ses questions sans réponses définitives, sa réflexion toujours en marche, ses personnages imparfaits et tellement humains.

Extrait

La femme qui vint à mon aide le fit presque brutalement. Elle me prit par le bras et m’emmena, par une entrée sombre, dans une cour intérieure. En hauteur, d’une fenêtre à l’autre, du linge pendait à des cordes. Des piles de bois étaient entreposées dans la cour ; par la porte béante d’un atelier, une scie hurlait et des copeaux volaient. Près de la porte par laquelle nous étions passés, il y avait un robinet. La femme l’ouvrit, rinça d’abord ma main, puis prenant l’eau dans le creux de ses mains, m’aspergea la figure. Je m’essuyai avec mon mouchoir.

« Prends l’autre ! » Deux seaux étaient posés près du robinet, elle en prit un et le remplit. Je pris et remplis l’autre, et je retraversai l’entrée derrière elle. D’un grand geste, elle jeta l’eau sur le trottoir, le flot entraîna le vomi dans le caniveau. Elle me prit des mains l’autre seau et acheva de rincer le trottoir à grande eau.

Elle se redressa et vit que je pleurais. « Garçon, dit-elle tout étonnée, garçon! » Elle me serra dans ses bras. J’étais à peine plus grand qu’elle, je sentis ses seins contre ma poitrine, sentis ma mauvaise haleine et l’odeur de sa sueur fraîche, et je ne sus que faire de mes bras. Je cessai de pleurer.

Bernhard Schlink, Le liseur, Gallimard, 1999, 249 pages (lu en version numérique)

D’Amérique

Un dernier verre avant la guerre de Dennis Lehane nous fait rencontrer cet important auteur américain au début de sa carrière. Ce premier opus d’une série mettant en scène un couple de détectives privés a été publié en 1994 et traduit en 2004. Le récit nous plonge dans un monde de fureur et de sang. L’action nous entraîne dans les bas-fonds de Boston. L’agence de détectives de Patrick Kenzie et d’Angie, sa partenaire, est contactée par deux sénateurs pour retrouver des documents avec lesquels se serait enfuie leur femme de ménage. L’agence recevra une somme pour les recherches et une somme additionnelle si celles-ci sont fructueuses. Un mandat simple pour Patrick, expert dans ce genre de tâches. Or il s’avérera que l’affaire est beaucoup plus complexe que prévu et déclenche une chasse à l’homme contre Patrick et Angie ainsi qu’une sanglante guerre de gangs. 

J’ai baissé les yeux vers le garçon et je me suis senti fatigué — horriblement fatigué — par tout ce tourbillon de mort, de haine mesquine, d’ignorance et d’absolue indifférence qui m’avait agressé durant cette dernière semaine. J’étais fatigué de toutes ces discussions qui ne menaient nulle part. Noir contre Blanc, riche contre pauvre, méchant contre innocent. Fatigué de la malveillance et de la stupidité, et de Marion Socia et de sa cruauté désinvolte. Trop fatigué pour me soucier des implications morales, de politique ou de quoi que ce soit à part les yeux de verre de ce garçon, par terre, qui semblait ne plus savoir pleurer.

Cette aventure de nos deux enquêteurs, la première d’une série de six, nous plonge dans une action sans cesse rebondissante, haletante, dans un univers de noirceur et de cynisme. Heureusement, l’humour omniprésent de Lehane et la relation tendre mais hésitante des deux associés nous insufflent ici et là de salutaires petites bouffées d’oxygène. Un excellent thriller.

Dennis Lehane, Un dernier verre avant la guerre, Éditions Payot & Rivages, 2004 pour la version française, 343 pages (lu en version numérique)


Une réponse à « De noir et de rouge »

  1. Avatar de En rattrapage – Le site de Carmen Robertson

    […] mon dernier billet, je vous parlais de Dennis Lehane et du premier opus d’une série : Un dernier verre avant la guerre. Depuis, j’ai dévoré les quatre suivants et je suis en voie de terminer le […]

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