Joyce Carol Oates, vieille dame de la littérature américaine, signe avec 48 indices sur la disparition de ma sœur une œuvre de facture actuelle et exigeante. Il m’a fallu un peu de temps pour me laisser gagner par l’intrigue ou plutôt par la mise en scène progressive du personnage principal. Mais je me suis accrochée en raison de la satisfaction que m’avaient procurée, dans le passé, quelques-uns des livres de cette écrivaine prolifique. Je vous invite d’ailleurs à consulter la fiche Wikipédia de l’auteure : une telle production en genres et en nombre, une telle somme de prix, ça donne le tournis. Donc, je me suis accrochée et j’ai fini par apprécier (sans pour autant adorer) cette histoire à la fois banale et unique.

Marguerite, jeune femme sculptrice et enseignante d’art à l’université de la petite ville d’Aurora-on-Cayuga, dans l’état de New York, disparaît un beau matin de printemps sans laisser de traces. Histoire banale, car elle raconte une disparition dans un pays qui en compte des milliers chaque année (900 000 depuis le début du XXIe siècle, affirme l’auteure, dont 90 000 ne sont jamais retrouvés). Histoire unique parce qu’elle nous est livrée par sa jeune sœur, Georgene, qui identifie généralement sa sœur par la lettre M. et elle-même par la lettre G. La cadette nourrit pour l’aînée, jolie et talentueuse, une passion dévorante faite d’amour et de haine, de mépris et d’envie. Et en définitive, il s’agit moins d’une histoire de disparition que du réquisitoire d’une femme qui se croit laide, de tout temps reléguée au second plan par son père et sa mère au bénéfice de sa chère sœur. Le ton est généralement amer et perfide, ce qui explique peut-être la difficulté que j’ai éprouvée à m’immerger dans ce récit.
Un échantillon
Jalousie ! Je n’étais pas jalouse des hommes que M. avait supposément dans sa vie parce que je n’étais pas jalouse de M. Il n’est pas plausible qu’une sœur cadette puisse être jalouse d’une sœur aînée belle et accomplie, elle ne peut qu’être en admiration devant une sœur pareille, reconnaissante de l’attention que lui prodigue la Princesse, de ses sourires fugitifs, des paroles approbatrices qu’elle lui jette par intermittence, telles des pièces de monnaie. (p. 65)
Georgene méprise tous ceux qui tentent d’élucider la disparition de M., camoufle des éléments d’information, des objets trouvés dans la chambre de sa sœur, se montre très peu collaborative. Aurait-elle quelque chose à voir dans cette disparition, d’ailleurs ? Tant les efforts de la police que ceux d’un détective privé appelé à la rescousse demeurent vains.
En fin de compte, il s’agit du récit d’une colère qui, telle une maladie incurable, ronge lentement G. Un récit très noir, troublant, dans lequel pensées délirantes et réflexions sensées côtoient des tensions émotives omniprésentes. Et on referme le livre en comprenant très bien ce qui arrive à Georgene, une vingtaine d’années après la disparition de sa sœur, mais toujours indécis sur le sort que fut celui de Marguerite.
D’autres avis : celui du Vogue ou de Prêt numérique
Joyce Carol Oates, 48 indices sur la disparition de ma sœur, Philippe Rey, 2024, 280 pages








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