Au bonheur des mots

Une bonne grosse brique comme je les aime ! Tata (quel vilain titre) de Valérie Perrin a satisfait le besoin de j’ai occasionnellement d’une lecture à la fois légère et pleine de rebondissements. 

Tata mélange les histoires et les époques, nous obligeant parfois à prendre un moment d’arrêt pour replacer nos repères. Il y a d’abord et avant tout Colette, un personnage fascinant. Elle naît dans la campagne bourguignonne d’une mère et d’un père fermier et peu aimants. Un concours de circonstances lui permettra de devenir cordonnière, un métier réservé aux hommes dans la France de l’après-guerre. Colette, c’est une taiseuse, du moins, c’est l’opinion de sa nièce Agnès qui passe ses vacances d’été chez cette tante pendant que ses parents, musiciens de réputation internationale, voyagent de par le monde. Mais on verra plus tard que ce silence recèle bien des paroles et bien des secrets. Agnès, cinéaste dont les films ont été des succès mondiaux récompensés par de nombreux prix, ne tourne plus depuis son douloureux divorce d’avec Pierre, à la fois époux et acteur fétiche. L’œuvre s’ouvre sur l’annonce à Agnès de la mort de Colette. Elle doit venir identifier le corps. Or, Colette est morte trois ans plus tôt. Colette est remorte ! Ce premier mystère donne le coup d’envoi à la mise au jour de nombreux secrets qui chamboulent la vie d’Agnès. D’autres personnages apparaissent et enrichissent le tableau. Je ne vous en dis pas plus.

Sinon que Valérie Perrin nous entraîne par son écriture simple et efficace dans un monde aux intonations musicales, aux couleurs sombres de la séquestration, à l’éclat lumineux de l’amitié indéfectible et plus encore. Un récit touffu, aux multiples narrateurs, aux incessants allers retours dans le temps.

Extrait

Célibataire sans enfants, Colette est la sœur de mon père, Jean. Du jour où il est parti, elle a porté le deuil de son frère. Ça a pris tout l’espace. Tout son espace rabougri. Son corps maigre et petit, ses grands yeux noirs qui lui mangeaient le visage, sa cordonnerie, son lit, l’air qu’elle respirait. Elle n’a jamais accepté sa mort « parce qu’il n’y a rien à accepter », disait-elle en balayant l’air d’un revers de la main.

Jusqu’à mes dix-sept ans, ma tante est restée silencieuse avec moi. Il lui arrivait d’échanger quelques mots avec les voisins, les commerçants, les clients, les footballeurs, qui la vénéraient comme un Italien vénère la Sainte Vierge. Mais pas avec moi. Avec moi, c’était un silence monacal. (p. 19)

Tata est un livre à mettre entre toutes les mains des amoureux et amoureuses d’histoires pleines de mystères et d’intrigues. Malgré quelques invraisemblances et longueurs, ce dernier opus de Valérie Perrin nous tient à notre siège et fait même obstacle à la passion du tricot.

Valérie Perrin, Tata, Albin Michel, 2024, 635 pages