Un Grisham hilarant

Le roman de Grisham lu précédemment, L’Associé, était dans la pure veine du polar judiciaire. Preuve du talent et de la versatilité de l’auteur, le dernier à mon palmarès, La Revanche, nous transporte dans un autre univers, celui du football américain à l’italienne. Hilarant ! 

Le propos

Rick, un quart-arrière substitut, appelé en renfort sur le terrain, offre la victoire du Super Bowl à l’équipe adverse en donnant trois interceptions. C’est la dernière de ses bévues qui lui ont valu le titre de Première Andouille de l’histoire du sport professionnel et un changement d’équipe annuel. À court de possibilités, son agent, Arnie, l’expédie à Parme, en Italie, où une équipe d’amateurs, les Panthers, est en quête de son premier Super Bowl italiano et mise sur le talent de cette recrue de la NFL. Rick est un gars sympathique, mais unilingue et sans culture comme tant d’autres de ses compatriotes nourries au sport et aux hamburgers. Forcément, c’est le choc culturel. Il découvre le vin, la bonne cuisine, les repas interminables et l’expressivité débridée des Italiens. Et le football à l’italienne. Ce qui, au départ, avait tout du pensum devient peu à peu une aventure dans laquelle Rick s’investit et qui va changer sa vie. 

Extrait

La surprise, ce fut la table. Dressée dans le patio, petite terrasse fleurie dominant tout le centre de la ville, elle était faite d’une dalle de marbre posée sur deux urnes imposantes, et encombrée de chandeliers, d’argenterie, de fleurs, de porcelaine fine et de bouteilles de vin rouge. L’air nocturne était limpide et calme, plus frais seulement quand une légère brise soufflait. Une enceinte invisible diffusait en sourdine un air d’opéra.

Mais où suis-je là ? se demanda L’Américain. D’habitude, en mars, il traînait en Floride où il squattait une chambre chez un copain, jouait au golf, soulevait des haltères, courait, s’efforçait de garder la forme pendant qu’Arnie s’activait au téléphone, se démenant pour lui trouver une équipe. Il subsistait toujours un espoir. Le prochain appel pouvait annoncer le prochain contrat. La prochaine équipe pouvait offrir le grand coup de chance. Chaque printemps était porteur d’un nouveau rêve, qu’il trouve enfin sa place — une équipe dotée d’une grande ligne offensive, d’un meneur de jeu brillant, de receveurs talentueux, tout. Ses passes seraient au cordeau. Les défenses s’écroulaient. Le Super Bowl. Et ensuite, le Pro Bowl. Un gros contrat. Des appuis. La renommée. Des tas de pom-pom girls. (p. 1880)

Ce roman m’a beaucoup amusé, au point de rire aux éclats par moments. Situations cocasses, descriptions élaborées de la cuisine italienne, compte rendu détaillé de chacune des parties dans ce franglais qui caractérise le vocabulaire sportif des Français. Un petit échantillon :

Adoptant une formation en « I », avec Franco posté quatre yards derrière lui en position de fullback et Sly trois yards plus loin, Rick balaya rapidement la défense adverse du regard, mais ne vit rien qui soit susceptible de l’inquiéter. Le smash, c’était une transmission du ballon de main en main loin de l’aile droite, donnant au tailback toute latitude de « lire » la défense des bloqueurs et de choisir un trou. (p. 1891)

Bien que l’auteur m’ait perdu durant les matchs, j’ai eu beaucoup de plaisir à voyager en Italie avec Rick.

John Grisham, Le Client, L’Associé, La Revanche, Robert Laffont, 2007, 520 pages

Une brillante machination

John Grisham n’a pas fini de me captiver. Le maître du polar juridique signait en 1997 avec L’Associé un roman complexe et palpitant de la première à la dernière ligne. 

Le propos

L’Associé, c’est Patrick Lanigan, avocat nouvellement engagé par une firme spécialisée dans les causes douteuses. Lorsqu’il découvre que ses collègues sont sur une affaire juteuse qui va rapporter quelque 90 millions, 60 pour leur client et 30 pour eux, et qu’ils ont prévu se débarrasser de lui afin de ne pas partager leur butin, Patrick machine un coup fourré qui lui permettra de mettre la main sur le magot en entier après avoir mis en scène sa mort tragique dans un accident de voiture. La coïncidence des deux événements éveille rapidement les soupçons. Ses associés engagent une firme spécialisée dans la recherche des disparus et dans l’art de leur délier la langue une fois qu’elle les a coincés. Le roman s’ouvre sur la capture de Patrick, sur la torture qu’on lui fait subir pour savoir où il cache l’argent et sur son retour en terre d’Amérique sous l’autorité du FBI qui a repris la main dans l’affaire. Commence alors une enquête dont, ironiquement, l’accusé tire les ficelles et qui nous révèle petit à petit l’intelligence du stratagème monté par le fugitif. Sa complexité n’a d’égale que l’imagination de cet auteur prolifique. 

Extrait

La nouvelle du retour de Patrick s’était répandue comme une traînée de poudre le long de la côte du Mexique. Les gens de robe sont friands de cancans : ils sont même enclins à les enjoliver et prompts à les colporter. Des rumeurs couraient, inventées de toutes pièces. Il pèse soixante kilos et parle cinq langues. L’argent a été retrouvé ; l’argent a disparu pour de bon. Il vivait dans l’indigence ; il habitait un hôtel particulier. Il vivait seul ; il avait refait sa vie et avait trois enfants. On sait où se trouve l’argent ; personne n’en a la moindre idée.

Pour amateur d’enquêtes et de suspense

Bien que le protagoniste soit effectivement coupable du détournement de fonds et qu’il soit accusé (sans preuve) d’homicide, on s’attache au personnage taciturne et peu bavard qui tente de se sortir des griffes de la justice. On est touché par son désir de repartir de zéro, par son espoir de gommer une enfance peu heureuse, un mariage catastrophique et un emploi ennuyeux. Même si c’est une illusion.

Grisham continue de séduire avec des histoires bien construites, livrées dans une langue claire, élégante, efficace et sans effets de manche. Il peaufine son portrait de l’univers de la justice américaine, des conflits entre juridictions locales et nationales, de l’acharnement et de l’éthique variable de la presse couvrant ces affaires, des avocats véreux, parfois obnubilés par leur quête de réélection ou de gloire, et des avocats honnêtes pour qui la justice veut encore dire quelque chose.

Les amateurs de suspense et d’enquête en ont pour leur argent !

John Grisham, Le Client, L’Associé, La revanche, 1997, 717 pages

Un amour de client

Les romans de Grisham sont aussi intelligents que ses titres sont sobres. Le client. Plus simple que ça… Mais quelle histoire !

L’intrigue

Le client, c’est Mark, un gamin de 11 ans, curieux, courageux et quelque peu frondeur. Dès le début du récit, on sait que le FBI enquête sur la mort criminelle d’un sénateur de la Louisiane dont le corps n’a pu être retrouvé. Romey, l’avocat du sbire qui a occis le politicien apprend de son client le lieu de la dépouille. Se croyant lui aussi traqué par le FBI, Romey, paniqué, gagne Memphis pour se suicider. Mark et son petit frère Ricky sont témoins de la chose et Mark tente d’intervenir pour empêcher le drame. Il se fait pincer par l’homme aux abois qui, ayant décidé que l’enfant mourrait avec lui, lui révèle son lourd secret avant de passer à l’acte. Mark arrive à lui échapper, mais il comprend vite qu’il a intérêt à se taire s’il ne veut pas être éliminé, ainsi que sa mère et son frère traumatisé, par la mafia. Le petit débrouillard se trouve une avocate, Reggie, et tout le reste du récit porte sur les tribulations de Mark pour se soustraire aux aveux, et sur ceux de son avocate pour le protéger, lui et sa famille.

Extrait

Son corps fluet rasant le sol, Mark rampa vers la voiture. L’herbe sèche était haute d’au moins soixante centimètres. Il savait que l’homme ne pouvait pas l’entendre de l’intérieur de la voiture, mais se méfiait du mouvement des herbes. Il s’avança donc vers l’arrière de la Lincoln, progressant sur le ventre, comme un serpent, jusqu’à ce qu’il arrive dans l’ombre du coffre. Il tendit le bras, retira doucement le tuyau du pot d’échappement et le laissa tomber par terre. Il revint rapidement sur ses pas et, en quelques secondes, fut de retour auprès de Ricky, accroupi dans l’herbe plus épaisse et les broussailles, à la périphérie de la ramure de l’arbre. Il savait que, s’ils se faisaient repérer, ils pourraient filer à toutes jambes et disparaître sur le sentier, avant que le bonhomme rondouillard puisse les attraper. (p. 23)

Plaisir de lecture

Ça prend une imagination débordante, un grand sens du récit et une qualité littéraire peu commune pour nous tenir en haleine durant plus de 800 pages sans que soit versée une goutte de sang additionnelle. Mark et Reggie sont des personnages complexes et hautement attachants. Grisham est issu de la filière légale et ses œuvres en déclinent toutes les facettes sans jamais se répéter. Nos deux protagonistes sont donc confrontés aux objectifs plus ou moins honnêtes de la machine judiciaire américaine et à la propension à user de tous les moyens pour obtenir gain de cause et conclure les enquêtes. D’autant plus que les procureurs ont parfois des visées politiques qui ajoutent de la pression aux efforts des forces de l’ordre. Grisham dénonce comme toujours les dérives du système judiciaire en opposant aux ambitieux et aux ripoux de valeureux acteurs (avocats, juges) qui privilégient la défense des droits des citoyens aux gains juteux et à la gloire médiatique.

Un très beau moment de lecture.

Le Client fait partie d’une trilogie regroupant 3 des best-sellers de l’auteur. 

John Grisham, Le Client, L’Associé, La Revanche, Best-sellers/Robert Laffont, 1862 pages

Lecture de voyage (fin)

Grisham, encore. L’héritage de la haine (titre original : Le couloir de la mort), paru presque 20 ans avant L’ombre de Gray Mountain, partage cependant avec celui-ci quelques points communs. Un jeune juriste, Adam Hall, et une jeune avocate, Samantha Kofer, peu expérimentés, mais brillants et idéalistes, quittent pour des raisons différentes leur prestigieux employeur, dans un cas de New York, dans l’autre de Chicago, pour adopter une cause en rupture avec leur plan de carrière.  Alors que Samantha est happée par la dure réalité des victimes de l’industrie du charbonnage, Adam s’engage volontairement dans la défense d’un condamné à mort.

Le propos

Adam Hall quitte donc Chicago pour prendre en charge la défense de Sam Cayhall, ancien membre du Ku Klux Klan, reconnu coupable d’avoir fait sauter le bureau d’un avocat juif travaillant à la défense des Noirs et tuant du coup ses deux petits garçons. Le lecteur sait d’entrée de jeu que Cayhall n’était que l’assistant de l’artificier et que l’explosion devait se produire en pleine nuit. Dans les sales opérations racistes auxquelles il avait participé, aucune vie ne devait être mise en danger. Il s’agissait de menacer, d’intimider, non de tuer. Cependant, l’artificier avait un autre plan en tête et avait installé un retardateur sur la charge de dynamite. Étrangement, peut-être en raison d’un serment de loyauté, Sam Cayhall refusera toujours d’incriminer son complice et portera seul l’accusation qui lui vaudra une condamnation à mort. 

Ce qu’on apprend assez rapidement, c’est que Adam Hall s’appelait plutôt Alan Cayhall à la naissance, que Sam est son grand-père. À l’annonce du verdict, Eddie Cayhall, le père d’Adam, se suicide. Les funérailles sont l’occasion pour Lee, la sœur d’Eddie, de révéler la vérité à son neveu sur son identité. 

Extrait

Tante Lee, assise avec Adam au bout de la jetée, regardant le soleil s’enfoncer dans le Pacifique, finit par lui parler de son grand-père, Sam Cayhall. Comme les vagues déferlaient doucement en contrebas, Lee expliqua à Adam que, bébé, il avait vécu un certain temps dans une petite ville du Mississippi. Elle lui tenait la main et de temps en temps lui caressait le genou tandis qu’elle lui révélait la triste histoire de leur famille. Elle fit un rapide résumé des activités de Sam en tant que membre du KKK, de l’attentat du cabinet Kramer et des procès qui devaient envoyer son propre père dans le quartier des condamnés à mort. Son récit était loin d’être exhaustif, mais elle exposa les points forts avec énormément de délicatesse.

Toujours fidèle à lui-même et bien documenté, Grisham s’attaque à des questions épineuses de la société américaine : la peine de mort, le racisme militant à la fin des années 60, les progrès réalisés au début des années 80 à ce chapitre, les dérives dans la pratique du droit. Ce roman, c’est aussi la quête de l’identité d’un jeune homme qui a grandi dans l’ignorance de ses origines et le traumatisme des terribles révélations que lui feront sa tante et son grand-père. C’est enfin un roman sur le pardon. 

Cette histoire a été portée à l’écran, mais la bande-annonce me laisse l’impression de profondes modifications pour faire un film d’action hollywoodien alors que le récit de Grisham est tout en retenue.

John Grisham, L’Héritage de la haine, Robbert Laffont, 1995 pour la traduction française, 444 pages

Lecture de voyage (suite)

De Victoria à Vancouver, j’ai dévoré un John Grisham que des amis m’avaient chaudement recommandé: L’ombre de Gray Mountain. Si le titre évoque une aventure sentimentale dans un décor idyllique, le propos de l’auteur est tout autre. Pas de romance dans cette œuvre aussi noire que les poumons des travailleurs du charbon et que la conscience des magnats du charbonnage, du moins ceux que l’auteur met en scène. Lequel, soit dit en passant, aime faire œuvre utile en s’adonnant à la fiction et signe des romans engagés et très documentés.

Nous sommes en 2008. La crise des surprimes sévit. Samantha Kofer, jeune avocate brillante et ambitieuse, est remerciée de ses services par une grande firme d’avocats qui œuvre dans le domaine de l’immobilier. Le «deal» qu’on lui propose est de consacrer un an à faire du bénévolat comme avocate, le temps que la crise s’estompe et qu’on puisse la réengager. Sonnée, déboussolée, Samantha se retrouve dans un trou perdu des Appalaches où elle prend la mesure d’une sombre réalité de son pays, soit l’exploitation du charbon à ciel ouvert et ses dommages collatéraux – les victimes de la pneumoconiose du mineur de charbon, la contamination de la nappe phréatique, la destruction du paysage, pour n’en nommer que quelques uns. Samantha sera entraînée malgré elle dans la guerre que mènent quelques avocats locaux peu argentés mais plutôt téméraires contre les riches et invulnérables compagnies du charbonnage.

Dès qu’une compagnie minière a le feu vert, c’est de la folie. Elle ne pense qu’au charbon, rien d’autre ne compte. Ils détruisent tout sur leur passage: les forêts, le bois, la faune, la flore. Et ils éliminent quiconque se met en travers de leur chemin – les propriétaires, les habitants, les inspecteurs du travail, les politiciens, et surtout, bien sûr, les contestataires et les écologistes. C’est une véritable guerre et on ne peut pas être neutre.

Comme d’habitude, le style de Grisham est direct, précis, sans effet de robe. Son but est tout autant de raconter une bonne histoire que de révéler à ses concitoyens et au monde entier les dérives d’une industrie délétère. Et c’est pleinement réussi.

John Grisham, L’ombre de Gray Mountain, JCLattès, 2015.

Lectures de voyage

Ma découverte d’un auteur archi connu

Le premier m’a été laissé par des amis lors de leur passage à Sunny Isles. Je comptais en faire ma lecture de voyage, mais je l’ai malheureusement terminé avant même de partir. C’est vous dire comment il était captivant. 

L’engrenage

L’engrenage de John Grisham met en scène trois juges véreux, surnommés les Frères, écroués dans une prison à sécurité minimale de la Floride. Pour se faire des sous, nos trois fripouilles, aidées d’un avocat tout aussi pourri qu’eux, arnaquent des hommes d’âge mûr ayant toujours caché leur homosexualité en leur adressant des lettres aguichantes sous la signature de jeunes délinquants en quête d’un protecteur. Lorsque le poisson est ferré, ils passent à l’extorsion. 

En parallèle, le grand patron de la CIA décide de faire d’un politicien peu connu le prochain président des États-Unis. Peu connu, mais sans tache, et surtout disposé à appuyer le réarmement des États-Unis pour faire face à la menace nucléaire que la CIA sent venir de l’Est. Leur candidat connaît une montée fulgurante et tout va pour le mieux jusqu’à ce que le directeur de la CIA comprenne que son homme est aussi un des correspondants des Frères…

Grisham écrit sans fioritures, sans métaphores ou autres effets de style, mais son efficacité et son sens de l’intrigue vous rivent à votre fauteuil jusqu’à la dernière page. 

John Grisham, L’engrenage, Best-Sellers Robert Laffont, 2001,365 pages

Fleur vénéneuse

Mon second, je l’ai terminé sur l’avion de retour. Tout aussi captivant, mais d’une tout autre mouture, Fleur vénéneuse de Joyce Carol Oates est une histoire troublante et oppressante.

Terence Green, un homme issu d’un milieu modeste, néanmoins diplômé d’Harvard, est marié à la très riche Phyllis. Ce directeur d’une prestigieuse fondation artistique et sa petite famille vivent dans une chic banlieue de New York et fréquentent tous les week-ends leurs voisins et amis, au grand dam de Terence qui aimerait bien de temps en temps rester à la maison. Une assignation à comparaître va bouleverser sa vie en lui faisant rencontrer la trop belle Ava-Rose Renfrew dont il va tomber éperdument amoureux. On réalise vite que sa famille dysfonctionnelle, sous ses apparences bourgeoises, ne peut le protéger de s’enfoncer dans une double vie. On découvre aussi la nature secrète de Terence, à la fois d’une naïveté sans nom face aux étranges activités des Renfrew et d’une violence terrifiante tapie sous sa réputation d’homme gentil. 

Joyce Carol Oates est une écrivaine prolifique et de grand talent. L’enchaînement de détails et de pensées disséminés ici et là génère une atmosphère menaçante où se meuvent des personnages tortueux à souhait dans une Amérique snob et puritaine. 

Joyce Carol Oates, Fleur vénéneuse, Archipoche, 1997 (2000 pour la traduction française, 314 pages

La dernière récolte

Mon dernier livre, je l’ai téléchargé pour me rendre jusque chez moi. La dernière récolte, toujours de John Grisham. Étonnant comme cet auteur peut créer des univers différents.

L’histoire est racontée par Luke Chandler, un petit garçon de 7 ans vivant sur une ferme de coton, dans l’Arkansas des années 50, avec ses parents et ses grands-parents. Le récit dure le temps d’une récolte, qui exige l’embauche de ceux des collines et des Mexicains. Tous ces gens, une quinzaine de personnes, s’installent sur la terre des Chandler, les Mexicains, dans le fenil, et ceux des collines, sous la tente. Or, il s’avère que ces gens ne sont pas tous des enfants de chœur… La curiosité de Luke en fera le témoin muet d’événements troublants ou violents.

L’attachant petit garçon, qui rêve de jouer dans l’équipe de baseball de Saint-Louis, nous introduit dans cette Amérique rurale, extrêmement religieuse et violente. On ressent comme si on y était le dur métier du coton, la menace des éléments, la chaleur du Sud, la crasse et la pauvreté. Mais aussi la rude affection dont il est l’objet, la vaillance des travailleurs comme des membres de la famille. 

Le style de Grisham, tout aussi sobre dans ce roman que dans L’engrenage, n’en crée pas moins un univers sensible et crédible dans lequel on s’immerge avec bonheur.   

John Grisham, La dernière récolte, Robert Laffont, 2001 (2002 pour la traduction française), 343 pages

De l’avocat véreux à l’amoureux transi

Mon mois de réclusion s’achève et aura été productif. Mon manuscrit a pris forme. La muse a été mise sur la touche et le moine a été invité à faire son boulot. Et Dieu sait qu’il en reste à faire !

Les deux derniers livres à m’avoir accompagnée ont été trouvés, comme les précédents, dans ce repaire de lecteurs invétérés que je remercie, en passant, du fond du cœur, pour m’avoir offert un si douillet refuge.

partenairesJohn Grisham, Les partenaires, est un excellent livre que je ne terminerai pas. Je m’explique. Grisham est un pro du suspense judiciaire, ayant lui-même pratiqué l’art du prétoire durant un certain nombre d’années, et un des plus gros vendeurs américains. Il est célèbre, entre autres, pour La firme, un succès planétaire porté à l’écran comme plusieurs autres de ses romans d’ailleurs.

D’entrée de jeu, j’ai aimé le style alerte et très vivant de sa plume qui met en scène un jeune avocat, diplômé d’Harvard, ma chère ! David Zinc travaille dans une gigantesque firme d’avocats de Chicago. Or un matin, il craque, s’enfuit et passe sa journée dans un bar à se souler la gueule. À la fin de la journée, chassé par le barman, il se retrouve par hasard dans le local miteux d’un petit bureau d’avocat auquel il se joint. Et le voilà lancé avec un associé dans une poursuite contre un laboratoire pharmaceutique qui pourrait leur rapporter des millions.

Après 147 pages, j’ai calé. L’univers juridique américain, grossi par la loupe de Grisham, a quelque chose de sordide. Le style quelque peu rabelaisien de l’auteur en rajoute une couche. Imaginez ces avocats véreux, courant les scènes d’accidents ou les salons funéraires, à la chasse à la clientèle. Grisham décrit un monde sans morale, sans éthique, pour qui seul l’argent compte. La nausée m’a fait refermer le livre.

carnets
Marcel Mathiot, Carnets d’un vieil amoureux, Philippe Rey, 2008, 382 pages

Ici, on ne change pas seulement d’univers, on change de planète. Les carnets ont été ma lecture de chevet, le genre que j’aime juste avant d’éteindre, pour finir la journée sur une note de calme et de sérénité.

Marcel Mathiot est né en 1910 et, à compter de son adolescence, il a pris l’habitude d’écrire une page tous les jours dans ses carnets. Cette activité s’est poursuivie sans relâche, à l’exception d’une courte éclipse durant la Deuxième Guerre mondiale, jusqu’à sa mort à l’âge de 93 ans. Les carnets, davantage journal de bord que journal intime, n’ont pas été écrits pour être publiés. L’éditeur a choisi les carnets des trois dernières années de la vie du diariste. Marcel a 90 ans. Il perd sa femme avec qui il a vécu 70 ans ! Et le voilà qui retrouve du fait même une liberté d’expression longtemps retenue. En effet, il n’aurait pas voulu que sa femme connaisse tous les secrets de ses nombreuses infidélités.

Marcel est un homme qui aime les femmes. Toutes. À 90 ans, il entretient toujours des liaisons téléphoniques avec certaines (Lili, Hélène) et torride avec une autre, sa Mado, sa vieille maîtresse depuis 40 ans, maintenant âgée de 82 ans que malgré sa verdeur, Marcel peine à satisfaire !

Ça ne peut plus durer comme ça ! Je vais me tuer ! Nous avons fait l’amour avec voracité samedi après-midi et soir, dimanche matin, après-midi et soir, lundi matin. Six fois dans ce week-end ! Rien à faire, dès que nos chairs nues se touchent, un irrépressible désir monte en nous. Il faut que je réagisse, je vais en crever.

Durant ces trois dernières années, l’auteur revisite les carnets de sa jeunesse, dans les années 20 et 30, nous offrant ainsi une savoureuse chronique d’époque, de sa vie d’instituteur, de la guerre. Cet homme avait un talent littéraire certain, que n’a pas manqué de remarquer Philippe Delerm, le maître du fragment, qui signe la préface.

Visite de dame Hilly, notre inspectrice. Elle est arrivée en coup de vent, s’est enquis des aptitudes du Boissou et de la santé de Minet. Tout ceci avec des gesticulations extraordinaires et des expressions de physionomie effarantes.

C’est une grande dame, toute de noir vêtue, coiffée d’un chapeau genre « caballero ». Le bras largement arrondi, la main perpendiculaire, le coude levé, elle s’avance vers vous à larges enjambées pour vous en serrer cinq. Quand elle parle, ses sourcils remontent très haut en demi-cercles, ses paupières bleues s’abaissent et découvrent, entre l’œil demi-clos et le front, un accordéon, une vaste étendue violette. Sa bouche avance, s’arrondit. Et brusquement, le visage se détend d’un bloc et un sourire grimaçant élargit sa bouche et déplie l’accordéon. Quelques exclamations et la voilà repartie, arpentant, la serviette haut sous le bras, le chapeau rond aplati sur la tête.