La portĂ©e de l’ombre🏆

S’il fallait absolument trouver un point commun Ă  ces deux bouquins pour ainsi dire aux antipodes des styles littĂ©raires, il tournerait autour du fait religieux comme fond de scĂšne. Et de la fĂ©rocitĂ© dont est capable l’humain Ă  l’endroit de ses congĂ©nĂšres. Une violence propre Ă  l’espĂšce. La face noire de son gĂ©nie. Et Ă  bien y penser, on pourrait encore faire un rapprochement entre les villages oĂč se dĂ©roule l’action de chacun d’eux, leur isolement relatif, propice Ă  l’enfouissement des secrets. Par-delĂ  les Ă©poques et les continents, lĂ  oĂč il y a des hommes, il y a de l’hommerie

ombre

La saison de l’ombre nous plonge dans la dramatique Ă©poque nĂ©griĂšre. Nous sommes au Cameroun, dans un petit village habitĂ© par une tribu refermĂ©e sur elle-mĂȘme. La lĂ©gende des origines y est transmise oralement. Les pĂ©rils de l’environnement sont tenues en respect par l’observance scrupuleuse des rites qui encadrent chacun des gestes de la communautĂ©. La tribu cherche Ă  vivre en harmonie et Ă  contenir les incontournables tensions auxquelles est soumise n’importe quelle communautĂ© : jalousie, guerre de pouvoir, prĂ©fĂ©rences, antipathies.

Le livre s’ouvre sur un drame inexplicable : quinze hommes sont disparus. Lorsque les villageois ont rĂ©intĂ©grĂ© leur village rasĂ© par les flammes, ils ont fait le terrible constat. Que s’est-il passĂ©? L’incomprĂ©hension exacerbe les tensions. Les forces obscures qui menacent sont d’abord perçues comme intrinsĂšques au clan lui-mĂȘme. Dans une tentative de les endiguer, on a isolĂ© les mĂšres des disparus, boucs Ă©missaires de ce bouleversement. Tous ne s’entendent cependant pas sur ce geste au graves consĂ©quences pour la communautĂ©. Alors que certains songent Ă  leur bannissement, d’autres croient qu’il vaudrait mieux partir Ă  la recherche des fils disparus. Les plus courageux se mettront en marche, affronteront la brousse et l’inconnu Ă  la recherche  de la vĂ©ritĂ©.

Sur le ton et le style du rĂ©cit, je ne saurais mieux dire que ce qu’on peut lire en quatriĂšme de couverture : « … une prose magnifique et mystĂ©rieuse, imprĂ©gnĂ©e de mysticisme, de croyances et de “l’obligation d’inventer pour survivre”. Â»

« L’ancienne demande ce que l’on peut devenir sans le secours des ancĂȘtres, sans reconnaĂźtre sur le sol, l’empreinte de leur passage. Comment avancer, si d’autres n’ont pas dĂ©jĂ  tracĂ© un chemin. La femme rĂ©pond que les aĂŻeux ne sont pas hors de soi, mais en soi. Ils sont dans le roulement des tambours, dans la maniĂšre d’accommoder les mets, dans les croyances qui perdurent, se transmettent. Ceux qui les ont prĂ©cĂ©dĂ©s sur la terre des vivants habitent la langue qu’elles parlent en ce moment. Elle sera transformĂ©e au contact d’autres langues qu’elle imprĂ©gnera autant qu’ils la rempliront. (…) Les ancĂȘtres sont lĂ . Ils planent au-dessus des corps qui s’enlacent. Ils chantent lorsque les amants crient Ă  l’unisson. Ils attendent sur le seuil de la case oĂč une femme est en travail. Ils sont dans le vagissement, dans le babil des nouveau-nĂ©s. Â»

Il m’aura tout de mĂȘme fallu, Ă  moi, l’athĂ©e, surmonter mes rĂ©ticences Ă  l’omniprĂ©sence du religieux pour apprĂ©cier ce livre magnifique qui a bien mĂ©ritĂ© d’ĂȘtre couronnĂ© du Prix FĂ©mina 2013. LĂ©onora Miano, Camerounaise de naissance et Française d’adoption est l’auteure de plusieurs romans, nouvelles, piĂšce de théùtre. L’intĂ©rieur de la nuit, publiĂ© en 2005 avait raflĂ© Ă  lui seul par moins de 7 prix. En 2006, elle a remportĂ© le Prix Goncourt des lycĂ©ens pour Contours du jour qui vient.

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Aborder Mauvaise foi de Marie Laberge aprĂšs une Ɠuvre aussi mystique et poĂ©tique, c’est bien sĂ»r un choc.

Un meurtre a Ă©tĂ© commis Ă  Sainte-Rose-du-Nord. Un meurtre vieux de plus de 20 ans et pour lequel, Paul, le fils de la victime, croupit en prison depuis ce temps. Or plusieurs ont toujours cru Ă  son innocence et remettent l’enquĂȘte sur les rails. Les deux limiers, Vicky, une QuĂ©bĂ©coise et Patrice, un Français, dĂ©terreront petit Ă  petit les restes putrides des Ă©vĂ©nements passĂ©s. L’homicide inexpliquĂ© s’avĂ©rera n’ĂȘtre que la consĂ©quence malheureuse d’autres crimes plus sordides, perpĂ©trĂ©s par de vĂ©nĂ©rables membres du clergĂ©, et enfouis par tous les tĂ©moins dans le tombeau du secret.

L’auteure nous offre une intrigue policiĂšre assez captivante sur charge anticlĂ©ricale percutante. Et malgrĂ© mon peu de sympathie pour les institutions religieuses en gĂ©nĂ©ral et pour la catholique en particulier, j’avoue que la virulence de la dĂ©nonciation m’a, par moment coupĂ© le souffle. Les porteurs de soutane sont tour naĂŻf, paumĂ©s, imposteur ou fĂ©rocement pervers et violent. Bien que l’auteure se dĂ©fende de verser dans le rĂšglement de compte, je ne peux m’empĂȘcher de trouver Ă  ce roman la saveur aigre de la vindicte.

J’ai longtemps Ă©tĂ© une fervente admiratrice de Marie Laberge. J’avais d’ailleurs Ă©tĂ© bouleversĂ©e par sa piĂšce de théùtre Oublier. Je prends maintenant moins de plaisir Ă  la lire, agacĂ©e par ce qui me semble une tendance Ă  psychologiser, Ă  faire dĂ©couler les comportements de ses personnages des expĂ©riences de leur passĂ©, Ă  rĂ©duire son propos par le cause Ă  effet, Ă  trop vouloir faire la lumiĂšre sur ce qui reste obscur Ă  chacun de soi, simplifiant du coup l’extrĂȘme complexitĂ© de l’ĂȘtre humain.

LĂ©onora Miani, La saison de l’ombre, Grasset, 2013, 235 pages

Pour plus d’information, incluant des critiques de presse, consulter Biblio

Marie Laberge, Mauvaise foi, Québec Amérique, 2013, 301 pages


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