Sâil fallait absolument trouver un point commun Ă ces deux bouquins pour ainsi dire aux antipodes des styles littĂ©raires, il tournerait autour du fait religieux comme fond de scĂšne. Et de la fĂ©rocitĂ© dont est capable lâhumain Ă lâendroit de ses congĂ©nĂšres. Une violence propre Ă lâespĂšce. La face noire de son gĂ©nie. Et Ă bien y penser, on pourrait encore faire un rapprochement entre les villages oĂč se dĂ©roule lâaction de chacun dâeux, leur isolement relatif, propice Ă lâenfouissement des secrets. Par-delĂ les Ă©poques et les continents, lĂ oĂč il y a des hommes, il y a de lâhommerie

La saison de l’ombre nous plonge dans la dramatique Ă©poque nĂ©griĂšre. Nous sommes au Cameroun, dans un petit village habitĂ© par une tribu refermĂ©e sur elle-mĂȘme. La lĂ©gende des origines y est transmise oralement. Les pĂ©rils de lâenvironnement sont tenues en respect par lâobservance scrupuleuse des rites qui encadrent chacun des gestes de la communautĂ©. La tribu cherche Ă vivre en harmonie et Ă contenir les incontournables tensions auxquelles est soumise nâimporte quelle communautĂ© : jalousie, guerre de pouvoir, prĂ©fĂ©rences, antipathies.
Le livre sâouvre sur un drame inexplicable : quinze hommes sont disparus. Lorsque les villageois ont rĂ©intĂ©grĂ© leur village rasĂ© par les flammes, ils ont fait le terrible constat. Que sâest-il passĂ©? LâincomprĂ©hension exacerbe les tensions. Les forces obscures qui menacent sont dâabord perçues comme intrinsĂšques au clan lui-mĂȘme. Dans une tentative de les endiguer, on a isolĂ© les mĂšres des disparus, boucs Ă©missaires de ce bouleversement. Tous ne s’entendent cependant pas sur ce geste au graves consĂ©quences pour la communautĂ©. Alors que certains songent Ă leur bannissement, d’autres croient qu’il vaudrait mieux partir Ă la recherche des fils disparus. Les plus courageux se mettront en marche, affronteront la brousse et l’inconnu Ă la recherche de la vĂ©ritĂ©.
Sur le ton et le style du rĂ©cit, je ne saurais mieux dire que ce quâon peut lire en quatriĂšme de couverture : « … une prose magnifique et mystĂ©rieuse, imprĂ©gnĂ©e de mysticisme, de croyances et de âlâobligation dâinventer pour survivreâ. »
« Lâancienne demande ce que lâon peut devenir sans le secours des ancĂȘtres, sans reconnaĂźtre sur le sol, lâempreinte de leur passage. Comment avancer, si dâautres nâont pas dĂ©jĂ tracĂ© un chemin. La femme rĂ©pond que les aĂŻeux ne sont pas hors de soi, mais en soi. Ils sont dans le roulement des tambours, dans la maniĂšre dâaccommoder les mets, dans les croyances qui perdurent, se transmettent. Ceux qui les ont prĂ©cĂ©dĂ©s sur la terre des vivants habitent la langue quâelles parlent en ce moment. Elle sera transformĂ©e au contact dâautres langues quâelle imprĂ©gnera autant quâils la rempliront. (…) Les ancĂȘtres sont lĂ . Ils planent au-dessus des corps qui sâenlacent. Ils chantent lorsque les amants crient Ă lâunisson. Ils attendent sur le seuil de la case oĂč une femme est en travail. Ils sont dans le vagissement, dans le babil des nouveau-nĂ©s. »
Il mâaura tout de mĂȘme fallu, Ă moi, lâathĂ©e, surmonter mes rĂ©ticences Ă lâomniprĂ©sence du religieux pour apprĂ©cier ce livre magnifique qui a bien mĂ©ritĂ© dâĂȘtre couronnĂ© du Prix FĂ©mina 2013. LĂ©onora Miano, Camerounaise de naissance et Française dâadoption est lâauteure de plusieurs romans, nouvelles, piĂšce de théùtre. LâintĂ©rieur de la nuit, publiĂ© en 2005 avait raflĂ© Ă lui seul par moins de 7 prix. En 2006, elle a remportĂ© le Prix Goncourt des lycĂ©ens pour Contours du jour qui vient.

Aborder Mauvaise foi de Marie Laberge aprĂšs une Ćuvre aussi mystique et poĂ©tique, câest bien sĂ»r un choc.
Un meurtre a Ă©tĂ© commis Ă Sainte-Rose-du-Nord. Un meurtre vieux de plus de 20 ans et pour lequel, Paul, le fils de la victime, croupit en prison depuis ce temps. Or plusieurs ont toujours cru Ă son innocence et remettent lâenquĂȘte sur les rails. Les deux limiers, Vicky, une QuĂ©bĂ©coise et Patrice, un Français, dĂ©terreront petit Ă petit les restes putrides des Ă©vĂ©nements passĂ©s. Lâhomicide inexpliquĂ© sâavĂ©rera nâĂȘtre que la consĂ©quence malheureuse dâautres crimes plus sordides, perpĂ©trĂ©s par de vĂ©nĂ©rables membres du clergĂ©, et enfouis par tous les tĂ©moins dans le tombeau du secret.
Lâauteure nous offre une intrigue policiĂšre assez captivante sur charge anticlĂ©ricale percutante. Et malgrĂ© mon peu de sympathie pour les institutions religieuses en gĂ©nĂ©ral et pour la catholique en particulier, jâavoue que la virulence de la dĂ©nonciation mâa, par moment coupĂ© le souffle. Les porteurs de soutane sont tour naĂŻf, paumĂ©s, imposteur ou fĂ©rocement pervers et violent. Bien que lâauteure se dĂ©fende de verser dans le rĂšglement de compte, je ne peux mâempĂȘcher de trouver Ă ce roman la saveur aigre de la vindicte.
Jâai longtemps Ă©tĂ© une fervente admiratrice de Marie Laberge. Jâavais dâailleurs Ă©tĂ© bouleversĂ©e par sa piĂšce de théùtre Oublier. Je prends maintenant moins de plaisir Ă la lire, agacĂ©e par ce qui me semble une tendance Ă psychologiser, Ă faire dĂ©couler les comportements de ses personnages des expĂ©riences de leur passĂ©, Ă rĂ©duire son propos par le cause Ă effet, Ă trop vouloir faire la lumiĂšre sur ce qui reste obscur Ă chacun de soi, simplifiant du coup lâextrĂȘme complexitĂ© de lâĂȘtre humain.
LĂ©onora Miani, La saison de l’ombre, Grasset, 2013, 235 pages
Pour plus d’information, incluant des critiques de presse, consulter Biblio
Marie Laberge, Mauvaise foi, Québec Amérique, 2013, 301 pages









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