Nancy Huston est, à mon humble avis, une écrivaine du calibre d’un prix Nobel. Son œuvre est belle et exigeante. Parfois déroutante. Mais on ne regrette jamais de s’être rendu au bout de notre lecture. Instruments des ténèbres est de cette eau.
Le propos
Nadia est écrivaine. Américaine, divorcée et révoltée. Elle a d’ailleurs transformé son prénom en Nada — « rien » en espagnol. Elle écrit l’histoire de Barbe et Barnabé, des jumeaux qui, au Moyen Âge, connaîtront un destin mouvementé. Les jumeaux seront séparés à la naissance en raison de la mort de leur mère. Barnabé sera élevé dans un couvent et deviendra moine tandis que Barbe errera de famille en famille et sera soupçonnée de sorcellerie, ce qui, à l’époque, menait droit au bûcher. En parallèle, Nadia-Nada livre ses réflexions sur l’écriture, l’inspiration dans un registre sulfureux, où les sorcières et les démons font le lien avec les superstitions moyenâgeuses. Petit à petit, on en apprend davantage sur son père, contrôlant, alcoolique et violent, qui a anéanti la carrière de sa femme, violoniste de concert. Et sur elle-même, car Nadia aussi était jumelle d’un frère mort à la naissance.
Ces deux histoires imbriquées l’une dans l’autre parlent de ce qui échappe à notre contrôle, l’inspiration, oui, mais surtout l’attachement, le détachement, le désir, l’amour, l’asservissement. Ça parle aussi de rémission, de résilience et d’affranchissement. C’est noir et lumineux.
Ce bref compte rendu ne rend pas justice à une oeuvre complexe et touffue, à une écriture belle et rigoureuse. Jugez-en par vous-mêmes.
L’échantillon
Après notre séparation à l’aéroport, il était avec moi en permanence. Il m’habitait, m’accompagnait, invisible mais présent, je regardais le monde à travers ses yeux et du coup j’aimais mieux ma vie, moi-même, voire mon mari ; savoir que Juan respirait, quelque part sur la même Terre que moi, conférait à chacun de mes gestes un sens supplémentaire. (p. 239)
Nancy Houston sera interviewée par Claudia Larochelle dans le cadre du Salon du livre de Québec, en avril prochain. Pour plus d’information, consultez cet article du Soleil
Nancy Huston, Instruments des ténèbres, Actes Sud Leméac, 1996, 409 pages