Autres Premières nations, même drame

Je vous avais déjà parlé avec beaucoup d’enthousiasme d’Olivier Truc et de ses enquêtes de la police des rennes. La Montagne rouge, paru en 2016, conclut une trilogie démarrée avec Le dernier Lapon suivi du Détroit du Loup. Cette fois-ci, la patrouille P9, composée de Klemet et de Nina, quadrille le sud de la Laponie, ou Sapmi dans le langage des Sami (Lapons), à la frontière de leur territoire ancestral et des terres des fermiers et forestiers. Les tensions sont très fortes entre les descendants des Premières nations et ceux qu’ils appellent les Suédois. L’élevage du renne et l’exploitation forestière semblent incompatibles. Les tensions sont d’autant plus vives que s’achève un procès à la Cour suprême de Suède, procès dont le but est d’établir une fois pour toutes les droits des uns et des autres. La question de fond consiste à déterminer si les Sami occupaient le territoire avant les Européens, ou s’ils sont des envahisseurs arrivés du Nord après l’établissement des Européens. Aidé de la patrouille P9 et de deux scientifiques dont les intentions ne sont pas tout à fait claires, Petrus, le chef des Sami, tente de trouver des preuves de cette présence ancestrale. Le temps presse, car le procès tire à sa fin et le juge n’acceptera aucun report.

UnknownLa révélation du traitement affligeant réservé au Sami au cours des siècles par les Suédois nous renvoie sans cesse à nos propres démons, aux actions honteuses posées par le Canada envers les occupants initiaux du territoire. Dans le cas des Sami, on parle de rabaissement à un sous-ordre d’humains sur la base de caractéristiques physiques dûment mesurées et consignées, on parle aussi de stérilisation forcée, de dépossession, de tromperie. On découvre de plus le commerce des squelettes et des crânes qui a fasciné les savants et explorateurs des siècles passés et la profanation des sépultures qui en a résulté. Il faut dire que l’histoire commence par la découverte d’un squelette ancien qui pourrait bien appuyer la cause des Sami en Cour suprême, mais dont il manque le crâne.

Klemet se frottait surtout à un visage de la Laponie nouveau pour lui. En Laponie norvégienne, la présence ancestrale et première des Sami n’était contestée par personne. Les conflits étaient d’une tout autre nature. Des conflits pour le droit à utiliser la terre aussi, face aux compagnies minières ou pétrolières. Ici, il en allait de leur droit même à l’existence. On les voyait comme des immigrés, illégitimes sur ces territoires, et cette histoire de crâne ne lui disait rien de bon.

La Montagne rouge a moins soutenu mon attention que les deux premiers tomes de la trilogie dont j’avais tant apprécié l’effet de dépaysement. L’action était un peu trop lente à mon goût. Restait le plaisir de retrouver des personnages auxquels je m’étais attachée. Restait surtout la leçon d’histoire, la terrible leçon d’histoire.

Les quelques pages de remerciement, à la fin du livre, impressionnent par l’étendue des recherches menées par l’auteur pour écrire sa trilogie. Olivier Truc sait de quoi il parle.

Olivier Truc, La Montagne rouge, Éditions Métailié, Paris, 2016, 461 pages

SaveSave

Coincée dans la toundra

Suis restée coincée dans la toundra, le vidda comme ils disent là-bas, chez les Sami. Pour lire le premier tome de la trilogie d’Olivier Truc, celui qui précède Le détroit du Loup dont je vous parlais dans mon dernier billet. Le dernier Lapon.

laponCe récit s’ouvre sur une scène hallucinante qui se passe en 1693. La chasse est ouverte. Le gibier : les Lapons, leur langue, leur religion, leurs chants, leurs symboles. Mais ce jour-là, c’est un Lapon qui est sur le bûcher. Parce qu’il n’a pas voulu dévoiler où il a caché l’objet convoité par le pasteur luthérien. Lorsqu’on termine le roman, on revient lire ce premier chapitre et tout s’éclaire.

Nous sommes ensuite de retour dans l’époque actuelle. Un tambour sacré, transmis par un collectionneur français au musée de Kautokeino, est volé. Puis un éleveur de rennes alcoolique et troublé mentalement est assassiné. Son scooter est brûlé. Ses oreilles coupées. Comme le font les éleveurs lorsqu’un de leurs rennes est tué accidentellement afin d’en démontrer la propriété et d’obtenir un remboursement. Qui a volé le tambour? Pourquoi? Qui a tué l’éleveur, et surtout, pourquoi lui avoir tranché les oreilles? Et les avoir marquées d’un signe indéchiffrable? Y a-t-il un lien entre les deux événements? Voilà les questions auxquelles la patrouille P9 va s’attaquer sur fond de tensions entre Sami et les autres groupes de la population locale. Car le vol du tambour, symbole puissant de la culture Sami mais aussi des tentatives de déculturation dont ils ont été victimes, excite ces tensions.

Lorsque j’ai commencé l’école, à sept ans, je me suis retrouvé dans un pensionnat où il n’y avait pratiquement que des enfants lapons. Nous avions interdiction de parler sami. L’instituteur était suédois et ne parlait que le suédois. Exprès. Il fallait faire de nous des petits Suédois. […] Nous étions battus si nous parlions sami, même pendant les récréations. (Ça nous rappelle quelque chose, à nous, Canadiens, n’est-ce pas?)

Des barrages routiers s’érigent. Or, une conférence de l’ONU sur les populations autochtones doit se tenir à Oslo trois semaines plus tard, et les politiciens tiennent à faire bonne figure face au monde quant au soin qu’ils prennent des Lapons. Comme on le ferait de quelque artefact folklorique. Je respecte la culture de nos amis sami, humm. Tout cela reste de la culture, n’est-ce pas… susurre le pasteur de Kautokeino.

Comme dans Le détroit du Loup, l’histoire est prétexte à nous faire pénétrer dans cette culture sami telle qu’elle se vit aujourd’hui, déchirée entre des modes de vie et des activités qui entrent en collision : élevage traditionnel et transhumance, sédentarisation des éleveurs, utilisation de moyens modernes de communication et de transport, exploitation des richesses naturelles. Tout cela dans une nature implacable, le froid extrême, la nuit polaire. Mais en même temps que les heures d’ensoleillement s’allongent, les faits sortent de l’ombre, petit à petit. Et les drames mis en lumière sont bien plus profonds que ceux qu’on croyait avoir à résoudre.

Un très bon livre, qui nous ouvre une fenêtre sur un peuple peu accessible, comme aucun voyage touristique ne le ferait.

Olivier Truc, Le dernier Lapon, Métailié noir, 2012, 420 pages

Tensions sous le soleil de minuit

Si le roman polonais Les Impliqués m’a dépaysé, que dire du polar Le détroit du Loup d’Olivier Truc? On s’y balade aux confins des pays scandinaves, en terre inconnue, la Laponie norvégienne. Mais des noms de lieux nous passent parfois en tête — Baie-James, Sept-Îles, Anticosti et d’autres — des lieux où des mondes s’affrontent, la nature contre l’industrie, les hommes d’affaires contre les natifs et leur culture traditionnelle. Où le plus souvent, c’est l’argent qui gagne.

loupL’action se déroule sur la mer de Barents, au début de la transhumance. Klemet et Nina, patrouille P9 de la police des rennes, s’occupent habituellement des conflits de pâturages, de vols de rennes, des conduites illégales de scooters dans des zones protégées. Mais un homme est mort alors que le troupeau prenait soudainement panique en traversant le détroit du Loup. Puis d’autres morts surviennent.

Que dire d’un berger qui se noie de façon peut-être suspecte, d’un maire qui chute de façon plus que suspecte, d’un rocher sacré qui gêne, d’une ville grouillante, d’un monde qui pousse l’autre.

Sans que l’enquête soit entièrement sous leur juridiction, les deux collègues suivent des pistes. Petit à petit, ils mettront au jour une terrible vengeance, révélatrice d’une période noire de l’exploitation pétrolière en Norvège.

Si leur patiente investigation est tout à fait captivante, l’intérêt du livre tient encore plus au drame qui la sous-tend, celles des plongeurs tués, blessés, détruits physiquement et psychologiquement lors des débuts de l’exploitation pétrolière offshore, dans les années 70. Et à ce récurrent conflit entre les modes de vie traditionnelle, ici celle des Samis (Lapons), et la course effrénée aux énergies fossiles et autres ressources naturelles.

La langue d’Olivier Truc est précise, efficace. Ses personnages sont crédibles et attachants sans peut-être devenir inoubliables. Cependant, l’auteur sait de quoi il parle, ce qui ajoute à l’intérêt du livre. Français de naissance, il habite la Suède depuis 1994 et couvre les pays nordiques et baltes pour le journal Le Monde. Il a publié une enquête sur le destin tragique de ces plongeurs engagés par les pétrolières en mer du Nord.

En résumé, Le détroit du Loup est une histoire passionnante qui nous fait voyager là ou peu de nous aurons la chance d’aller, sous le soleil de minuit, dans le quotidien du peuple sami, et dans le drame qui se vit au jour le jour, là et ailleurs, quand se pointe le rouleau compresseur du profit.

Olivier Truc, Le détroit du Loup, Éditions Métailié, 2014, 399 pages