C’est une lente méditation, une spirale de vie qui tourne sur elle-même en s’enfonçant au cœur des commencements. L’énigme du retour de Dany Laferrière. C’est mon premier contact avec l’écrivain. Je ne peux dire s’il écrit toujours avec cette même économie de mots et d’effets. Et pourtant quelle poésie! À chaque ligne. On ne sait quel extrait choisir pour l’illustrer : « Je descends la rue/pour un bain/dans ce fleuve humain/où plus d’un se noie/chaque jour. »
Ses paroles essentielles nous traversent le corps : les couleurs des marchés, des filles, la désolation de la terre pelée, le désir exaspéré par la chaleur et la faim , la joie de vivre malgré la mort impatiente, le goût de la mangue, la fidélité des vieux amis paternels, la violence aussi, la violence de la dictature qui ne fait que changer de masques, tout cela chevillé au pays. Ce composé d’images brûlantes nous fait prendre la mesure, par contraste, de la glace dans laquelle nous sommes taillés.
La mort du père est le prétexte d’un retour au pays. Destin parallèle d’un père et d’un fils qui ont fui le pays vers le même âge pour poursuivre ailleurs, chacun à leur façon, la lutte pour la liberté. Pour l’aîné, l’arme fut politique. Pour le fils, l’arme passe par l’écriture. Petit à petit, l’exilé retrouve la terre natale, les gens qu’il a connus, sa mère, sa soeur, son neveu, les amis d’enfance, ceux qui ont connu son père, et surtout, sa grand-mère qui, de son cimetière, reste la matrice vivante de l’enfant qu’il fut.
Pèlerinage de l’adulte sur les routes qui le ramènent à son enfance. Chemin d’images et de sensation qui ficellent l’homme à ses origines. La vie n’est-elle pas un long détour chaotique vers un enfant qui attend la nuit?