Parfois, j’allume le téléviseur pour m’informer des dernières turbulences de ce monde. À peine a-t-elle entamé la nouvelle que la lectrice disparaît derrière des images censées illustrer son propos. Pareil pour l’expert. Dès qu’il a prononcé quelques mots, on préfère à son visage des projections qui passent et repassent en boucles infernales. Je cherche dans cette obsédante superposition de tableaux le lien réel avec des paroles dont je perds le fil, distraite par ces remous visuels. Nouvelles ou usées, ces scènes ont toujours, et toujours plus, sur moi le même effet. Mon regard erre, mon oreille s’absente. J’éprouve une angoisse. Toute cette agitation sensorielle m’évide la tête. Ou l’image est insignifiante, ou elle frappe dans le plexus solaire. Dans tous les cas, elle fait trop de bruit. Le message se dilue dans l’état d’engourdissement intellectuel qui m’envahit. L’image, supposée valoir mille mots, l’image me vide de mes mots.
Si seules les actualités posaient problème, il n’y aurait pas de quoi s’affoler. Mais il me semble bien que ce ne soit que la pointe de l’iceberg. Que l’image est victime de déprédation. Sous la botte de ceux qui la manipulent, elle distrait et elle dicte. Elle me prive de ma capacité de sentir et de penser, instillant en moi des sens préfabriqués. Elle se multiplie, elle me poursuit, elle m’assaille dans des lieux – gares, autobus, salles d’attente – où, faute d’étourdissements, je pourrais bien me laisser aller à réfléchir, à méditer, à rêver. À passer du temps avec moi-même.
L’agression ultime, je l’ai vécue lors des funérailles d’une amie très chère. Dans la chapelle, sur le mur avant, au-dessus du cercueil, bien en vue, on a eu l’idée d’installer un grand écran et le trait de génie de projeter des scènes bucoliques pendant l’écoute des pièces musicales. Une onde rafraîchissante courait entre les arbres, un ruisseau tombait en cascade sur des roches. J’aime l’eau plus que tout. J’aurais pu me laisser emporter dans l’apaisement et l’espérance que suggéraient ces paysages. Déjà menacée en permanence d’une perte de contact avec le fond douloureux de mon âme, les images cherchaient à m’extraire d’une peine fragile, comme tout ce qui est insupportable. Il m’a fallu fermer les yeux. La musique m’a pénétrée et m’a rendu la liberté de sentir et d’être. D’être dans cette désolation de l’irréversible.
Cette expérience m’a fortement atteinte. L’écran, comme une bête rampante, investissait maintenant les lieux sacrés. Il fallait me rendre à l’évidence que l’image, celle qui est utilisée et manipulée pour distraire et pour dicter, est un bulldozer qui ne reculera devant rien pour aplanir nos paysages intérieurs.
L’humain a peur du silence, celui que rencontre l’oreille, mais surtout, celui sur lequel bute le regard. L’humain a peur de ce qui, montant des profondeurs, demande à se montrer et à se dire. Comme tous, j’ai peur de ces mondes indomptés qui m’habitent. Pourtant, qu’est la vie, sinon la quête sans fin de l’être que nous sommes et qui se réfugie derrière le tumulte de nos existences?








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