
C’est un fait de notoriété publique : les grands-parents sont tous gagas. Les papis et les mamies en exercice en préviennent ceux qui sont en devenir, lesquels écoutent avec scepticisme, ennui et un brin de condescendance le récit des exploits de la descendance des premiers. Ils comprendront quand ils le seront, grands-parents, se disent ceux-ci. Et, immanquablement, les nouveaux promus tombent dans la potion magique qui transforme des bébés ou des bambins, somme toute ordinaires, en véritables petites merveilles. Voici les nouveaux grands-parents lancés : « Il a dit ceci… Il a fait cela… N’est-il pas assez intelligent… ou comique… ou admirable? »

Je ne fais pas exception à la règle. Je suis conquise par mes bouts de chou, je m’en confesse. Je suis gaga. Cependant, cette épithète courante appliquée à mon nouveau statut me laisse sur mon appétit et ne rend rien de l’expérience profonde qui est éveillée par ces belles têtes rondes. Au contraire, son caractère d’autodérision me semble réducteur des sentiments mis en jeux. L’adulte, en devenant grand-parent, perdrait de son discernement et sombrerait dans une admiration bébête pour la progéniture de troisième génération. Mon vécu n’y trouve pas son compte. De quoi est fait cet amour qui tout à coup nous emporte, nous transporte? Est-il différent de celui que nous avons éprouvé pour nos enfants? On le dit plus gratuit puisque le grand-parent n’est pas responsable de l’éducation des petits et qu’il ne moissonne que le plaisir de cette relation. Mais est-il vraiment plus fort?
Je serais plutôt portée à croire que l’amour que nous éprouvons pour nos petits-enfants prolonge et approfondit celui que nous ressentons d’abord pour nos propres enfants. À trois reprises, mon corps de femme s’est ouvert pour livrer son fruit. Un tout petit être dont la survie et le bien-être ne dépendait désormais que de ses parents et, plus spécifiquement, de moi, la mère nourricière. C’était parti, à chaque fois, pour une histoire d’amour d’une indescriptible densité. Chacun de ces bébés à qui j’avais donné la vie me mettait au monde à son tour. Mon émerveillement sans fin devant chacune de ces présences qui se déployait dans le temps et dans l’espace me confirmait mon existence. Ce qui m’avait été refusé dans l’enfance m’était enfin rendu. L’attention qui m’avait fait défaut, je la récupérais dans le regard grave du nourrisson à mon sein. Son abandon m’enseignait les bases de la confiance. Ses bras autour de mon cou faisaient fondre mon armure d’indifférence. Je protégeais mes petits et ils m’initiaient aux arcanes de l’amour.
Quand, à son tour, notre enfant dépose un nouveau-né dans nos bras, n’est-ce pas cette histoire d’amour qui refait surface et qui se continue? Un petit être tout neuf, chair de notre chair, poursuivra à son tour le perpétuel processus de mise au monde qu’est la vie de chacun. C’est peut-être tout cela, dont nous ne savons pas parler, qui se camoufle sous les récits dithyrambiques des faits et gestes de nos petits-enfants. Nous ne devenons pas gâteux; nous retombons en amour. Et quoi de mieux pour donner du sens à la vie et pour adoucir la conscience de notre inéluctable finitude?








Répondre à Carmen Annuler la réponse.