Un rĂ©cit Ă la sauce dâĂric Vuillard, câest toujours un moment de lecture jouissif et terrifiant. Jouissif en raison de la plume alerte et acĂ©rĂ©e de lâauteur, terrifiant, car mettant au jour sous une lumiĂšre crue le cynisme des acteurs impliquĂ©s dans le drame qui nous est racontĂ©. Dans Une sortie honorable, Vuillard fait lâautopsie des intĂ©rĂȘts français qui ont conduit Ă la guerre dâIndochine (devenue guerre du Vietnam sous la conduite des AmĂ©ricains).
Dans un premier court chapitre, lâauteur dĂ©peint le traitement cruel, que dis-je, le quasi-esclavage des travailleurs locaux dans lâexploitation des ressources â Ă©tain, charbon, latex. Ce bref exposĂ© permet de saisir tout le reste, le soulĂšvement des Vietnamiens, les annĂ©es de conflit.
Vuillard trace des portraits acides des personnalitĂ©s et des grandes fortunes qui exploitent des richesses, leur cupiditĂ© sans borne. On comprend que cet interminable carnage est moins lâaffaire du gouvernement français que celle de puissantes sociĂ©tĂ©s privĂ©es, Ă moins que les deux se confondentâŠ

«âEn somme, au nom de lâhonneur national, la banque encourageait depuis le Parlement, une guerre meurtriĂšre, dont elle tirait profit, et quâelle estimait, pourtant, perdue. Et derriĂšre les gesticulations cocardiĂšres de FrĂ©dĂ©ric-Dupont, derriĂšre lâordre colonial dĂ©fendu par Violette et Michelet, derriĂšre les dĂ©clarations patriotiques enflammĂ©es des de Lattre et des Navarre, derriĂšre les atermoiements de Bidault et les menaces de Dulles, la banque avait clairement misĂ© sur la dĂ©faite de la France.â» (p. 190)
Ci-dessous un échantillon du cÎté jouissif de cette lecture :
«âLâombre du prĂ©sident Herriot avance sur le trottoir en boitant formidablement, appuyant sur sa canne son corps gigantesque, rempli de nĂ©bulositĂ©s et de tĂ©nĂšbres, tordu, brinquebalant, se balançant comme certains dindons, mĂąchonnant aussi, peut-ĂȘtre une mauvaise dent, un bridge un peu dĂ©chaussĂ©. Une fois entrĂ© dans le restaurant, aprĂšs quelques pantagruĂ©liques mouvements de buste, une fois fichu son gigantesque baba entre les anses du fauteuil, le vieux bison rumine.â» (p. 39)
Lâauteur, qui avait obtenu le Goncourt en 2017 pour LâOrdre du jour, nous offre ici une analyse incisive de la fin de lâengagement français en Indochine, guerre sans honneur qui fit dix fois plus de victimes du cĂŽtĂ© vietnamien que du cĂŽtĂ© français, et pour laquelle les colonisateurs cherchent une impossible sortie honorable.
Ăric Vuillard, Une sortie honorable, Actes Sud, 2022, 199Â pages








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