On aimerait mieux parler d’autre chose. Ce temps qui file, ce dernier train que nous prendrons tôt ou tard et qui foncera dans la nuit. Destination : nulle part. Le néant.
Pourtant le sujet nous rattrape. On arrête pour un temps de penser courses, travail, sorties, préparatifs de Noël. On prête l’oreille à ces êtres marqués par le destin, souffrants, courageux, qui demandent le droit de mourir dans la dignité, dans l’apaisement des secours de la médecine et de l’amour des leurs. Ils espèrent l’aide d’une main compatissante qui libérera de ses fers un corps qui ne pourra porter l’âme plus loin.
Nous, qui les écoutons dans l’ombre, sommes majoritairement d’accord. Très majoritairement d’accord. Mais ce sont les spécialistes qu’on questionne et qui s’affrontent. Et que disent-ils les experts? Quelques-uns acquiescent, affirment la primauté du choix individuel, proposent des balises. D’autres s’opposent, âprement. Leur principal motif : la peur des dérives, la hantise que le droit de mettre fin, de son libre arbitre, à ce qui ne peut durer cautionne l’élimination des plus vulnérables, de ceux qui n’ont plus de voix et qui pèsent sur le cœur et sur les bourses de la famille, de la société. Nous sentons la terreur des visions apocalyptiques que soulève en eux le débat.
Mais de quoi ont-ils peur au juste? Il faut bien admettre que les dérapages ne dépendent pas des lois. Qu’on pense aux aînés, sujets à la violence dans les mouroirs du grand âge. Qu’on pense encore aux enfants, victimes d’inceste, partout, toujours. Les bourreaux n’attendent aucune permission ou interdiction pour exercer leurs sévices. On pourrait objecter à ces adversaires qu’une loi balisant l’euthanasie volontaire, assortie de solides mécanismes de surveillance, pourrait contrer les velléités de certains d’abréger des vies. Mais il est incontestable que la pulsion de donner la mort ne naîtra pas de l’adoption d’une loi sur l’euthanasie volontaire. Cette pulsion, elle existe déjà. Elle sévit déjà. Tous les jours et de mille manières.
Je crois donc que les craintes des opposants s’ignorent elles-mêmes, qu’elles n’ont pas de fondement logique. C’est la frayeur intrinsèque de l’homme face à la mort qui se cherche un argumentaire. Vertige humain devant son inacceptable finitude.
C’est un dur débat. Regarder dans les yeux ces êtres chers affirmer qu’un jour, qui n’est peut-être pas si lointain, ils demanderont à partir, ils solliciteront notre accord, notre compréhension et notre aide… Penser à notre propre disparition, à notre possible déchéance, à la souffrance et à l’angoisse qui nous étreindra peut-être… Quand? Dans 20 ou 30 ans? Dans 2 ou 3 ans? Demain?
Chose certaine, nous n’échapperons pas à l’inéluctable et rien ne nous garantit une fin douce et sereine. Alors, aussi bien se faire notre propre idée, dicter dès maintenant nos volontés et espérer que nous pourrons, le moment venu, exercer nos choix ou, dans le cas contraire, qu’un être aimant le fera pour nous.
Bonjour Carmen,
Je partage entièrement ton propos et les mots pour le décrire me touchent. Merci encore de ces moments d’arrêt et de réflexion dans une vie qui avance beaucoup trop vite.
Carmen