L’an passé, j’avais été envoûtée par ce paysage de début du monde, terre et eau en symbiose. Monde de reptiles et d’oiseaux, monde d’avant les mammifères. Dans cet univers en évolution, l’humain, anachronique, par quelque anomalie du temps, me semblait observer le monde dont il émergerait des millions d’années plus tard.
Nous sommes de retour dans les Everglades cette année et cette terre primitive continue de m’interpeler. Qu’est-ce qui atteint l’âme et produit un tel saisissement? La lenteur peut-être… Un monde de lenteur.
Les eaux semblent stagner, mais il n’en est rien. Leur mouvement nous échappe, tout simplement, comme si ces eaux étaient à jamais assoupies dans un marécage sans fin.
Cette eau dormante nourrit une végétation luxuriante qui se balance mollement au gré du vent. Joncs, nénuphars et saw-grass frémissent à peine, les pieds enfoncés sous la surface noire des étangs, la tête caressée par le vent. Les palétuviers enfoncent leurs inextricables racines dans le limon du marais. Toute cette végétation semble se figer dans sa densité.
Dans cette eau somnolente, pullulent, dans leur glissement silencieux, des milliers de poissons. Parfois, affleurant à la surface et avançant sans même faire une vague, un alligator se laisse porter par un courant invisible. Le plus souvent, le saurien fait le mort au soleil. Des tortues paraissent mises en arrêt par quelque cataclysme dans leur position stationnaire. Sur les bords des étangs, les hérons, les aigrettes, les courlans, aux aguets, avancent avec lenteur et solennité, l’œil fixe, en levant haut leurs longues pattes.
On imagine les serpents invisibles lovés dans les replis de cette nature enchevêtrée. Et toute la vie microscopique qui pulse, échappant à notre perception. On lève le regard sur le ciel immense et tranquille…
Et on se prend à ralentir soi même. On chemine à petits pas. On parle plus bas. Le cœur, sans doute, ralentit la cadence, bat avec moins de bruit. Une lenteur s’impose à soi. Quelle part de l’être est ainsi contactée? Quelle couche obscure entend son écho? On délaisse les sphères ou on s’agite le plus souvent. On oublie un moment les soucis, les projets, les obligations, les plaisirs turbulents. Durant une heure ou deux, on capte le rythme lent du monde dans son processus sans fin de création, et soi dedans, bête parmi les bêtes, au confluent de l’infime et de l’immense, seul face au mystère de la vie.
merci, petite soeur, de nous faire partager ton émerveillement de si belle façon.
Au plaisir de te relire !
Juste de te lire mon coeur ralenti, la lenteur me gagne…ouf, que ça fait du bien! Merci
Profitez-en, gang de chanceux!