Lorsque j’ai refermé, hier, La carte et le territoire de Michel Houellebecq, prix Goncourt 2010, j’aurais pu le ranger dans la section des livres lus et à prêter de ma bibliothèque et passer à autre chose. Ce fut mon premier réflexe. Et puis non, je me suis dit qu’il importait que je m’explique en quoi l’attribution de ce prix me laisse dubitative. Un tel honneur ne devrait-il pas nous signaler un chef-d’œuvre? Il se publie pas loin de 100 000 livres par année dans la francophonie! N’y a-t-il pas dans cette masse de bouquins quelques pierres précieuses? Il est vrai que les chefs-d’œuvre sont rarissimes, mais il paraît pourtant, chaque année, une foule d’excellents livres qui pourraient se mériter une telle distinction. Je me doute cependant que ma question est naïve et que l’attribution du Goncourt est surtout une guerre d’éditeurs (et d’auteurs), un affrontement des titans de l’édition guerroyant pour le gisement aurifère que constitue ce couronnement.
Vous aurez compris que je n’ai pas été renversée par La carte et le territoire. Agréable lecture, sans plus. Le ton de douce ironie qui l’imprègne m’a gardée à distance. Je n’ai pu oublier l’auteur, d’autant plus qu’il se met en scène en tant que personnage. Deux des thèmes abordés m’ont tout de même rejointe : l’art et la relation au père.
L’art – un métier comme un autre qui ne rend pas nécessairement heureux ceux qui connaissent le succès, la célébrité, la richesse. Houellebecq met d’ailleurs en lumière la disproportion de la valeur monétaire des tableaux par rapport à leur valeur artistique aux yeux même du peintre qui les a créés. En fait, il nous présente l’art comme une démarche plus obscure pour l’artiste que pour ceux à qui l’œuvre est destinée; une tentative de représenter un monde d’autre part incompréhensible, indéchiffrable, opaque.
Le rapport au père – le grand silence père-fils, l’incommunicabilité, l’impossible expression d’affection. Et le désir pourtant d’une rencontre, seule arme contre la solitude absolue.
Le livre m’a fait sourire, m’a intriguée (mais à quoi veut-il bien en venir?), mais ne m’a pas émue. C’est sa pire faute. Ce qui m’a fait me questionner sur ce que j’attends d’un roman.
Dans mon livre à moi, un grand roman (tout comme un grand récit) me donne à voir et à vivre le monde tel que l’auteur l’appréhende. J’entends par là, tel qu’il le vit, tel qu’il en fait intimement l’expérience et non tel qu’il le réfléchit et se l’explique intellectuellement, ce à quoi s’adonne Houellebecq. Si j’avais à donner un exemple parmi mes lectures récentes, je pointerais Bibi de Victor Lévy Beaulieu. (J’avais d’ailleurs annoncé que je reparlerais de ce livre, mais il est tellement colossal, tellement complexe, difficile aussi, que je ne m’y suis pas risquée. Il me faudrait le relire et comme il fait presque 600 pages, je me réserve ce plaisir pour plus tard, peut-être…). Un grand roman me dérange, m’atteint dans les zones de l’être qui se cachent sous ma rationalité, dans ces replis secrets qui me déterminent. Un bon livre éclaire des ombres, leur donne une existence et, ce faisant, me rend plus vivante.
Ces livres sont rares et souvent ardus. Entre eux, je ne boude pas la délectation des histoires bien tournées qui nous tiennent en haleine, des personnages attachants qu’on voudrait ne plus quitter. Dans cette catégorie, je pleure l’inspecteur Wallender que sont créateur, Henning Mankell a cru bon faire disparaître dans le dernier opus qu’il lui consacrait (L’homme inquiet) et dont j’ai parlé dans mon billet du 24 novembre dernier.
La carte et le territoire n’entre dans aucune des ces deux catégories, mais encore fallait-il l’avoir lu pour savoir si je ne passais pas à côté d’un essentiel. Et je n’oublie pas que bien des lecteurs placent Houellebecq sur la plus haute marche. Il n’est pas ici question de vérité, mais de goût. Et vous?
De goût, bien sur… Je crée l’étonnement quand je dis que je n’ai pas beaucoup aimé Cent ans de solitude, peut-être n’ai-je pas compris. Mais quand on aime ou apprécie un livre, ça se fait tout seul.
En ce moment, je me délecte du roman Le choix de Sophie de William Styron. Tu l’as déjà lu? Sinon, tu dois absolument.
C’est pas récent, fin des années 70. On a en fait un film ou Meryl Streep avait gagné l’Oscar de la meilleure actrice. Je suis contente de ne pas l’avoir vu pour mieux apprécier le livre.
Une écriture magnifique et une histoire qui intrigue et dérange parce qu’elle aborde l’horreur nazi et le racisme du sud des États-Unis, au sortie de la 2e guerre mondiale.
Le trajet de train de banlieue est tout à coup bien court.
Je l’ajoute à ma liste sans délai!