En exergue de ce livre, une citation : L’amour est une main douce qui écarte lentement le destin. Écho à ce que Mankell illustre dans Les chaussures italiennes, soit que l’amour permet de renaître et de vivre encore, au-delà de la douleur, de la peur, de la honte, des regrets et des remords. Au-delà de nos inévitables trahisons envers les êtres les plus chers comme envers soi-même.
Je vous ai déjà chaudement recommandé les romans policiers de Henning Mankell qui a créé Wallander, ce si attachant détective suédois, notamment en commentant, dans ce blogue, son dernier opus, L’homme inquiet. Si les polars ont rendu l’auteur célèbre dans le monde entier, il lui arrive aussi de commettre des œuvres d’un autre genre, plus intimes. Les chaussures italiennes sont de cette eau.
Je ne vous apprendrai rien qui n’est pas déjà en quart de couverture en vous disant que le récit met en scène un médecin, Fredrik, ayant renoncé à la pratique à la suite d’un événement traumatisant. Âgé de 66 ans, sa vie entre parenthèses, il se terre depuis plus d’une décennie dans une île de la Baltique qui a appartenu à ses grands-parents. Les jours s’écoulent, informes, jusqu’à ce matin où une femme, son amour de jeunesse abandonnée, le retrouve et exige qu’il tienne une promesse faite quarante ans plus tôt. Rien de sera jamais plus pareil. Son passé lui reviendra par bribes et paradoxalement lui offrira un improbable avenir.
Mankell donne naissance à des êtres attachants, imparfaits, tourmentés, souffrants, parfois lâches et menteurs, mais battants aussi, et tendres. Des hommes et des femmes qui luttent malgré la peur et le mal. Et ce qui me semble conférer une force extraordinaire à son œuvre, c’est qu’il ne cherche pas à nous leurrer quant à leur possibilité de changer. Non, il nous permet plutôt d’accompagner ses personnages dans leur avancée laborieuse qui les mèneront parfois à leur anéantissement, mais qui, le plus souvent, les feront advenir tels qu’ils sont, plus conscients, plus présents à eux-mêmes et enfin capable de pardonner.
L’île qui sert de décor à cette histoire insolite et qu’on ne quitte que pour y revenir rapidement est un personnage en soi, nature austère pour homme tourmenté. Elle est solitude et esseulement, racine et exil. Elle participe activement au destin de ceux qui errent sur ses rochers. Lorsqu’on referme le livre, on sait qu’on gardera pour longtemps la nostalgie de ne pouvoir y séjourner tout comme on s’ennuiera un bon moment de Fredrik, cet homme vieillissant qui craint plus que tout ses émotions et auquel on s’est pourtant attaché, peut-être parce qu’on s’est un peu reconnu en lui…
Henning Mankell, Les chaussures italiennes, Collection Points, Éditions du Seuil, 2009.
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