Paris, 1957. Dans l’effervescence de l’après-guerre, trois personnages hors normes : Saffie (prononcez Zaffie), une jeune Allemande ayant fui son pays, Raphaël, Français de la haute bourgeoisie, flûtiste de grand talent dont la renommée deviendra mondiale, et Andrās, un Juif hongrois, luthier de son métier, venu chercher lui aussi en France, dans ce pays qu’on lui a dit être celui de la liberté, un second souffle. Ces trois destins s’imbriqueront l’un dans l’autre, triangle pathétique.
Saffie et Andrās ont vu les leurs broyés par la fureur et la folie guerrière qui, durant de longues années, a plongé l’Europe dans les ténèbres et la fulgurance. Les Allemands ont exterminé des millions de Juifs. Les Russes sont passés sur le corps des femmes allemandes. Ils portent chacun en eux le poids de la terreur, de la honte et de l’absence.
L’amour pourra-t-il venir à bout de la douleur qui leur écrase le cœur? Raphaël le pense. Épris, tendre, patient, il croira en sa réussite et en celle de l’enfant qu’il lui a fait. Cependant, à l’insu de son mari confiant, Saffie fréquente Andrās dont l’attachement passionné semble avoir le pouvoir de réanimer son âme…
Mais il y a la guerre d’Algérie… À peine l’herbe a-t-elle repoussé dans les cratères des bombes et sur les fosses communes de l’Histoire que Français et Algériens s’étripent, se mutilent, s’entretuent, tant sur le sol d’Afrique que dans les sous-sols des préfectures de Paris. Des exactions et des morts qui ravivent la mémoire des fugitifs de l’horreur. Le passé de chacun se joue au présent. Ils ont fui l’odeur de la poudre, mais la guerre les a suivis. Elle est tout autour d’eux, en eux.
Qu’adviendra-t-il de ces protagonistes? Bien sûr je ne vous le dirai pas. J’ajouterai seulement qu’un cinquième personnage, l’auteure elle-même, nous interpelle par moment, stratégie qui rompt la magie de la fiction, mais qui, nous introduisant nous-mêmes dans le récit, nous oblige à nous souvenir que nous sommes aussi des acteurs de l’Histoire, que toute existence individuelle s’inscrit dans un destin collectif, dans une terre, dans une langue, dans un sang. Elle nous saisit et nous ancre dans le réel, dans la vérité de notre humanité.
Nancy Huston n’est pas l’auteure à lire quand vous avez l’âme à la distraction. Son univers est dense. L’amour, la mort, l’histoire, tout pèse du poids du vrai. Pèse et nourrit.
L’empreinte de l’ange de Nancy Huston, Babel, 1998, 328 p.