J’ai dévoré ce deuxième tome des aventures de Selb. J’avais bien aimé Brouillard sur Mannheim, j’ai apprécié encore davantage Un hiver à Mannheim qui n’est pas une suite à proprement parler du premier, mais qui met en scène les mêmes personnages, incluant Turbo, le chat. Les deux récits sont autonomes, bien que je suggère de les lire dans l’ordre. Ça apporte un petit supplément de compréhension des personnages.
Dans cet opus, Selb est engagé pour retrouver la trace d’une jeune fille disparue depuis quelques mois par quelqu’un qui prétend être son père sans pour autant accepter de rencontrer l’enquêteur privé. C’est sans compter sur le savoir-faire de Selb qui mettra rapidement au jour l’identité réelle de son commanditaire. Retrouver la jeune fille sera aussi assez facile pour le fin limier, mais les choses se révéleront beaucoup moins simples que prévu. Ça parle d’enfouissement d’armes chimiques de la guerre, de spéculations immobilières, de psychiatrie. Il y aura un mort et Selb sera engagé par le père pour faire la lumière sur les circonstances du crime. Il y aura de l’action, quoi ! Et de l’humour.
L’auteur, Bernhard Schlink, n’oublie jamais de laisser respirer ses personnages et surtout de les laisser manger et prendre un verre. On salive souvent devant les repas de Selb. De plus, j’ai moins travaillé fort pour mémoriser les noms, les personnages étant moins nombreux. Vraiment une belle découverte que les romans de Schlink !
Bernhard Schlink, Un hiver à Mannheim, Folio policier, 2000, 374 pages
J’en suis venue à bout. Non pas que ce soit une longue œuvre (166 pages en caractère assez gros), mais parce que c’est un texte dur, dérangeant, exigeant. Malgré les propos entendus de Nancy Huston lors d’un récent entretien vantant le talent de Nelly Arcan, malgré la longue préface de celle-là (22 pages), j’ai trouvé le moyen d’être ahurie par la prose de l’auteure. Sur le cul, pour dire bien franchement. Il arrive que je cherche longtemps dans un livre dont je rends compte un extrait représentatif du style de l’auteur, et parfois, sans succès. Dans le cas de la Burqa de chair, le problème inverse se pose. Choisir est presque impossible. Chaque phrase mériterait d’être citée. Chaque phrase rend jalouse l’écrivaine qui somnole en moi.
La burqa de chair, comme le titre donne à penser, parle du corps des femmes comme d’une prison. de l’expérience hautement paradoxale du piège de la beauté féminine. Des femmes emprisonnées dans le regard des hommes et que leur éducation leur enseigne à rechercher. De honte, de souffrance, de suicide, aussi, beaucoup. À noter que ce livre est paru après la mort que Nelly Arcan s’est donnée à l’âge de 36 ans. Il s’agit d’un recueil de textes magnifiquement écrits, d’une plume intime, incisive, créative, toujours au plus près de l’expérience. Poétique aussi. Je n’ose en dire davantage de peur de trahir la pensée complexe et si lucide de l’auteure.
Extraits
Une fois ma mère m’a inscrite au patinage artistique, j’avais huit ans. Pendant les quelques années où j’en ai fait je me classais dernière dans les compétitions, à force ça en devenait triste, ça nous accablait moi et ma mère qui chaque fois pleurions dans les bras l’une de l’autre dans les gradins où le froid de la patinoire venait nous recouvrir. Depuis la tristesse me surprend toujours sous la forme d’une engelure, la tristesse est une sensation qui vient du nord, c’est sans doute pour ça qu’elle tasse les gens en fœtus, qu’elle les ramasse en boule dans le lit et qu’elle les recroqueville sous les draps. (p. 72)
Sur le Web, il fait froid. Le Web est un portail sur la désincarnation qui est un désert de glace sans fin. Le Web n’a pas de cœur. La désincarnation, c’est une bourrasque dans les yeux, un vent polaire qui cingle et fait claquer des dents. Se désincarner, c’est s’envisager de loin, dans la distance, du point de vue d’un autre. Avoir froid, sentir son corps s’éloigner de son foyer et de la chaleur centrale que représente le cœur. Quand on peut voir son propre sexe ouvert devant soi et quand son sexe se met à parler, à renseigner, à étaler ses produits, à donner son prix et ses disponibilités, on franchit une ligne. Au-delà la folie guette, gueule ouverte, si grande et profonde qu’elle donne le vertige. (p. 57)
Nelly Arcan, Burqa de chair, Seuil, 2011, 166 pages
Je viens de faire la découverte d’un auteur, Bernhard Schlink, nouveau pour moi, mais connu mondialement, notamment pour Le liseur, que je n’ai pas encore lu. J’ai plutôt choisi, pour faire sa connaissance, la série policière mettant en scène Gerhard Selb, personnage construit en collaboration avec Walter Popp, dont le premier opus, Brouillard sur Mannheim, paraît en 1987 en langue allemande.
Le propos
Juge de profession, Schlink sait y faire lorsqu’il dessine un décor de crime. Le décor en question est allemand : Mannheim, Heidelberg, le Rhin. Selb fut procureur au temps de la guerre, mais à la fin de celle-ci, il a quitté le métier pour exercer celui de détective privé. C’est donc un monsieur autour de la soixantaine qui est contacté par un ami d’enfance et ex-beau-frère, Korten, alors directeur général de la puissante Société rhénane de chimie (RCW), pour aider à résoudre une infiltration des systèmes informatiques de la compagnie. À l’époque où se situe l’action, l’informatique en est encore à ses balbutiements et Selb est tout, sauf à l’aise avec ce nouveau langage. Il s’attaque tout de même à la question et résout rapidement l’énigme sur laquelle sèche l’équipe de sécurité de la RCW. Son mandat se termine là. Du moins le croit-il. Or le décès de celui que Selb avait démasqué, un accident douteux, relance notre limier, à titre personnel, sur l’affaire qui s’avère beaucoup plus complexe qu’il avait cru. L’enquête mettra au jour des ramifications remontant au temps de la guerre, des SS, et impliquant personnellement Selb, le confrontant à ses vieux démons et à une époque qui lui a laissé un pénible sentiment de culpabilité.
Le style de Schlink m’a quelque peu fait penser à celui de Philip Kerr. Mis à part le fait que les deux auteurs nous ramènent à l’époque du règne des SS, ils partagent un certain humour. Son héros, plus tout jeune, gros buveur, gagne tout de même notre sympathie par sa maladresse avec les femmes et son désir de justice inentamé. L’auteur se permet de courts chapitres sans lien avec l’enquête, juste pour le plaisir de nous faire mieux connaître son personnage, ce qui lui donne en effet davantage d’épaisseur. Selb n’est pas qu’un cerveau.
L’extrait
« À la fin de la guerre, on n’a plus voulu de moi. J’avais été un national-socialiste convaincu, membre actif du parti, un procureur impitoyable qui avait aussi demandé et obtenu la peine de mort à plusieurs reprises. Certains de ces procès avaient été spectaculaires. J’ai cru en tout cela et en mon rôle de soldat du front juridique : blessé dès le début de la guerre, je ne pouvais plus être envoyé au front tout court. […] Je n’avais plus d’avenir comme procureur. Je ne voyais en moi que le procureur national-socialiste que j’avais été et que je ne pouvais plus être. Ma foi avait disparu. Vous ne pouvez pas vous imaginer à quel point on pouvait croire au national-socialisme. » (p. 150)
J’ai bien aimé cette lecture malgré la profusion des noms allemands que je peinais à mémoriser. Un polar qui vous laisse respirer, vous fait rire ou sourire, un héros sympathique tout en étant pitoyable par moment et une intrigue originale, on a tout ça dans Brouillard sur Mannheim.
Bernhard Schlink, Brouillard sur Mannheim, Folio policier, 1997, 347 pages
Ma lecture des dernières semaines a rencontré des obstacles qui m’ont empêchée d’en rendre compte et qui expliquent mon silence.
J’ai d’abord tenté de lire La traversée des temps, Paradis perdus d’Eric-Emmanuel Schmitt. Cette modeste entreprise de l’illustre et prolifique auteur vise à raconter l’histoire de l’humanité, rien de moins, à travers l’expérience de Noam, qui, figé à son âge de 25 ans, parcourra 10 000 ans d’histoire. Au départ, ça prend une bonne dose de confiance pour embarquer dans cette lubie. Malgré la virtuosité langagière de Schmitt, j’ai cassé aux trois-quarts de l’ouvrage, infiniment agacée par sa position de gourou, de celui qui sait et qui va nous révéler les grandes vérités de la vie. C’est bien sûr une appréciation toute personnelle. Ma recherche sur les critiques de l’œuvre a révélé autant de lecteurs admiratifs qu’exaspérés par différents aspects de la proposition de l’auteur. Je ne peux donc vous recommander que de vous faire votre propre idée en feuilletant et lisant un extrait de l’ouvrage pour voir si cette lecture peut vous plaire en n’oubliant pas que le tout comprendra 8 tomes et quelques milliers de pages.
Deuxième lecture difficile, mais pour des raisons tout à fait différentes : La burqa de chair de Nelly Arcand. Je suis tombée en bas de ma chaise en découvrant cette auteure que je n’avais pas prise au sérieux avant d’entendre son éloge de la bouche de la grande Nancy Huston. La curiosité m’a incitée à aborder son œuvre, et j’ai découvert une écriture exigeante et un texte d’écorchée. Je le lis à petite dose, je le terminerai et je vous reviendrai.
Enfin, troisième lecture, une nouvelle de Simone de Beauvoir, L’âge de discrétion, extrait de La femme rompue, recueil publié en 1967. Ce texte met en scène un couple d’intellectuels (une professeure d’université et un scientifique). Âgés d’une soixantaine d’années, la narratrice et son mari, André, sont confrontés à la rupture que constitue la retraite et aux affres du vieillissement. Le couple vit une crise déclenchée par le choix de leur fils d’intégrer les affaires du beau-père plutôt que de marcher sur leurs traces en devenant professeur. Ce problème ne me semble compréhensible que si on est familier avec le parcours de De Beauvoir et de Sartre, avec leurs prises de position intellectuelles et politiques et qui sont aujourd’hui très datées. J’ai modérément apprécié. La fiction de De Beauvoir me semble moins intéressante que ses écrits autobiographiques qui m’ont enchantée. On imagine davantage les rouages d’un cerveau qu’un cœur battant en suivant les réflexions de la narratrice. Je pense que de Beauvoir est trop cérébrale pour véritablement faire palpiter la chair de ses personnages. Encore là, question d’attentes personnelles au regard d’une fiction abordant les défis de l’âge.
Extrait
Ne pas préjuger de l’avenir. Facile à dire. Je le voyais. Il s’étendait devant moi à perte de vue, plat, nu. Pas un projet, pas un désir. Je n’écrirais plus. Alors que ferais-je ? Quel vide en moi, autour de moi. Inutile. Les Grecs appelaient leurs vieillards des frelons. « Inutile frelon », se dit Hécube dans Les Troyennes. Il s’agit de moi. J’étais foudroyée. Je me demandais comment on réussit encore à vivre quand on n’espère plus rien de soi. (p.75)
Eric-Emmanuel Schmitt, La traversée des temps, T.01 Paradis perdus, Albin Michel, 2021, 563 pages
Simone de Beauvoir, L’âge de discrétion, 1967, Gallimard, 99 pages
Certains le savent, je lis la nuit quand le sommeil me fait faux bond. Mes insomnies des derniers mois ont été bercées par Daniel Boorstin, cet érudit à la feuille de route éblouissante, un Américain qui nous rappelle qu’il y a quand même de grands humanistes chez ce voisin qui nous désespère si souvent. Après Les Découvreurs etLes Américains, j’ai plongé dans Les Créateurs, un survol brillant des grands mouvements artistiques de l’histoire occidentale, de la préhistoire à nos jours, touchant notamment l’architecture, la sculpture, la musique, le théâtre, la danse et la littérature.
Ce que nous dit Boorstin de son livre
Après Les Découvreurs, qui retraçaient la quête de l’homme avide de connaître le monde et de se connaître lui-même, j’étais plus que jamais convaincu que la poursuite du savoir n’est qu’une des voies menant à l’épanouissement de l’homme. Les Créateurs, qui fait pendant à ce premier ouvrage et qui présente lui aussi le point de vue de l’Occident cultivé, est la saga des héros de l’imagination. […] Je montre ici comment, dans tous les arts, les créateurs ont amplifié notre expérience, l’ont embellie, réinventée et mise en filigrane. […] Ces créateurs qui inventent la nouveauté ne peuvent, eux, jamais tomber en désuétude, car dans les arts il n’y a pas de réponse correcte. […] J’ai choisi ici des créateurs que j’aime et qui ont apporté à l’art quelque chose de neuf.
C’est donc, comme le dit l’auteur lui-même, un livre très personnel traitant de sujet universel, une espèce d’autobiographie, une œuvre richement documentée. Et comme tous les livres de Boorstin, écrit dans une langue d’une grande élégance et d’une grande clarté à la fois. Un plaisir à savourer à petite gorgée, comme un bon vin.
Daniel Boorstin, Les Créateurs, Seghers, 1994, 747 pages
Difficile de trouver de l’information sur James Webb, auteur de l’excellent roman L’empereur et le général. Et pour cause, il s’est fait voler la vedette par le célèbre télescope, sans compter un homonyme politicien. Tout ce que j’ai trouvé à son sujet (je n’ai pas cherché très longtemps, je l’avoue), c’est le bref résumé qu’on trouve en quatrième de couverture. James Webb est avocat et journaliste. Ses reportages sur la guerre du Liban ont obtenu un Emmy. Il a travaillé pour la Défense et la Marine américaines. Voilà pour l’auteur.
Le propos
Le roman pour sa part est l’œuvre d’un homme érudit, qui a fouillé son sujet, et qui sait transcrire avec brio ses connaissances dans une histoire complexe et pourtant compréhensible.
L’histoire est racontée par Jay Marsh, un capitaine américain dans la jeune vingtaine. Le jeune homme arrive sur la scène du conflit alors que s’achève la guerre du Pacifique. Sa connaissance du japonais, acquise auprès d’une petite amie, en Californie, et peaufinée dans les écoles de langue, lui vaudra d’être rattaché au service du célèbre général MacArthur, en voie de reconquérir le terrain perdu en Asie. Et voilà que deux bombes atomiques mettent brutalement fin à cette guerre. MacArthur, tel un empereur, s’installe à Tokyo pour assurer la transition d’un Japon traditionnel à un pays démilitarisé et occidentalisé. Jay, petit gradé sans importance, sera son oreille et parfois l’exécuteur de ses basses tâches. Tout en devenant un redoutable négociateur, le jeune homme fera l’expérience d’un grand amour. Tant son rôle auprès de MacArthur que son expérience des femmes ne seront pas sans le marquer et lui faire perdre son innocence.
Ce roman, c’est d’abord toute une leçon d’histoire sur la manière dont s’est terminée la Deuxième Guerre mondiale, sur l’impérialisme des Américains, sur la culture japonaise, sur les conséquences à court terme de la défaite nipponne pour ce pays à la culture millénaire. C’est aussi la maturation accélérée d’un jeune homme confronté à des défis moraux et au devoir d’obéissance. C’est enfin une belle et tragique histoire d’amour.
L’échantillon
MacArthur avait vu la scène. Et il contenait mal un mince sourire d’appréciation. Il était en train de devenir un personnage immensément populaire au Japon. Le moindre mot qu’il prononçait en public était publié in extenso dans les journaux japonais. En théorie, son nom était maintenant connu de tous ici, et synonyme d’espoir pour le futur. Des femmes donnaient même son prénom à leur bébé. Certaines lui écrivaient pour lui demander d’être le parrain de leur prochain enfant. Des groupes d’écoliers apparaissaient parfois comme par magie au coin des rues du quartier, et agitaient les deux drapeaux américains et japonais réunis dans une main. (p. 213)
L’empereur et le général est une lecture consistante et passionnante.
James Webb, L’empereur et le général, Robert Laffont, 2000, 508 pages
Un vol de 13 heures, ça requiert des passe-temps, dont la lecture. À cette fin, j’ai acheté, pour ma liseuse, deux romans de Mélissa da Costa. J’avais adoré, ce cette auteure, Tout le bleu du ciel. J’anticipais le même plaisir à poursuivre sur ce terrain. J’ai déjà parlé du premier, Les Lendemains dans un précédent compte rendu. Voici l’autre
Ambre est l’héroïne de Je revenais des autres. D’entrée de jeu, cette toute jeune femme, la petite vingtaine, fait une tentative de suicide qui a tout de l’appel au secours. Issue d’une famille aux interrelations anémiques, Ambre s’est acoquinée avec Angéla, adolescente marginale, délurée, qui l’initie au sexe et à la consommation. Les jeunes femmes jouent avec le feu. Lors d’une soirée bien arrosée qui risque de se terminer en agression, Philippe, un homme marié et père de deux enfants, intervient et raccompagne Ambre chez elle. Et c’est le dérapage, l’amour déçu, la tentative de suicide. Pour l’aider à reprendre pied, Philippe lui déniche un emploi saisonnier en montagne, dans l’auberge d’un ami. Da Costa applique ici la même recette que dans les livres déjà cités. Le quotidien fait de hauts et de bas nous est raconté sans grands rebondissements. Encore une fois, l’amitié et la nature font partie de la médecine qui permettra à Ambre de libérer la vie en elle.
Se retrouver dans la chambre face au lit vide de Tim lui fut tout à coup insupportable. Cela faisait des jours qu’elle subissait cela sans broncher mais ce soir-là, c’était le soir de trop. Andréa était là, de la lumière filtrait sous sa porte, mais elle savait déjà qu’elle n’irait pas le rejoindre. Les larmes qu’elle avait essayé de contenir devant Philippe coulaient à présent sur ses joues, en flots incontrôlables. Elle attrapa son manteau, son sac et redescendit les escaliers d’un pas précipité.
L’auteure talentueuse, à n’en pas douter, est aussi une jeune femme qui raconte des histoires de jeune femme. Rien de plus naturel. Mais j’avoue qu’après en avoir lu trois dans un laps de temps assez court, je ressens le besoin d’autre chose de plus mature et peut-être moins pastel.
MÉLISSA DA COSTA, Je revenais des autres, Albin Michel, 2021
Lecture d’avion et d’insomnie, Les lendemains de Mélissa da Costa sait bien meubler ces heures de captivité.
Le propos
Amande, jeune femme enceinte, perd son amoureux un soir de Fête de la musique, à Lyon. Accident de moto. Le choc de cette mort tragique provoque un accouchement hâtif et la décès de son bébé.
Effondrée, Amande quitte son travail et son appartement pour s’enterrer dans un maison qu’elle trouve à louer en Auvergne. Le livre nous raconte la première année de deuil d’Amande, son dépérissement et sa lente remontée vers la lumière et la vie. C’est une histoire de résilience qui fait la part belle à une vieille maison, à un chat égaré, à un jardin, aux amitiés et aux tendresse. Du Da Costa, quoi. Si vous avez lu et aimé Tout le bleu du ciel, vous ne serez pas dépaysés.
L’échantillon
La vie a repris malgré la douleur, malgré l’impression que plus rien ne sera jamais pareil, que le monde s’est arrêté. Pas pour moi… Moi, je suis restée loin de tout, du bruit, de l’agitation, de l’existence du commun des mortels. Je suis restée dans ma maison, à fixer des objectifs loufoques sur mon mur et des couleurs dans mon saule. Ce n’est pas la vie normale, c’est une autre vie que je m’efforce de bricoler, une vie sur mesure, qui s’adaptera à mes pas hésitants et laissera de la place à mes deux absents.
Les lendemains, c’est une histoire faite de micro événements, sans péripéties excitantes. L’arrivée d’un chat abandonné ou l’émergence des fleurs au printemps en constituent les événements. Pour amateur d’histoires lentes et réconfortantes.
Mélissa da Costa, Les lendemains, Éditons Albin Michel, 2020, 384 pages
Paris brûle-t-il ? Cette phrase est attribuée à Hitler, qui, aux abois dans le Repaire du Loup, sentant le contrôle des événements lui échapper, avait donné l’ordre au général Choltitz, responsable de la capitale française, de réduire celle-ci en cendre en procédant au minage de tous les ponts et de tous les grands monuments de la capitale. Sur la base de cet ordre désespéré, Dominique Lapierre et Larry Collins ont fait de la libération de Paris un récit palpitant qui fut, dans les années 60, un succès mondial.
Quelque 60 ans plus tard, ce livre est toujours aussi captivant. La Deuxième Guerre mondiale reste, malgré son horreur ou à cause de son horreur, un sujet fascinant. Par ailleurs, Paris aussi envoûte. Sa libération après quatre années passées sous la botte allemande constitue bien sûr un événement d’envergure. Et quand cette libération est le résultat du soulèvement de la population, lequel a forcé l’armée à entrer dans la ville plus tôt que prévu pour éviter le massacre de cette population, l’histoire devient envoûtante.
Les auteurs ont su donner au récit le rythme stimulant d’un véritable roman policier. Les recherches colossales qui ont permis de suivre, à l’heure près, le fil des événements des quelques derniers jours précédant le soulèvement populaire assurent la pertinence du contenu. Les centaines de personnes qui ont témoigné de leur vécu au cours de cette fin d’août 1944 permettent d’incarner les faits, de nous rendre sensible cette page d’histoire. Choltitz leur a accordé de longues entrevues. De même pour le général Eisenhower. Mais aussi les témoignages verbaux de tant d’autres, gradés, simples soldats ou civils ayant vécu ces jours de feu, de poudre et de colère. Et c’est finalement cette parole qui donne toute la saveur et toute la valeur à l’ouvrage.
Extrait
Les premières salves d’obus firent une impression terrifiante sur les insurgés. Derrière leurs sacs de sable dérisoires, avec leurs mitraillettes, leurs mousquetons et leurs pistolets, ils savaient qu’ils ne pourraient opposer qu’une résistance symbolique à l’assaut allemand. Ils seraient tous massacrés. Nombre de policiers, subitement gagnés par la peur, décidèrent alors d’abandonner leur position, de fuir. L’abbé Robert Lapoutre, qui était devenu leur aumônier, les vit s’engouffrer par dizaines dans les escaliers du souterrain qui communiquait avec la station de métro Saint-Michel sur la rive gauche de la Seine. (p.154)
Dominique Lapierre, Larry Collins, Paris brûle-t-il ? Ce jour-là 25 août 1944, Robert Laffont, 1964, 462 pages
Je termine à l’instant un petit bouquin, un récit, qui a mystérieusement abouti dans ma bibliothèque. Aucun souvenir de la manière dont il s’y est retrouvé. Sans doute prêté par quelqu’un, mais qui ?
L’auteure, Marie-Élaine Proulx, a œuvré durant de longues années dans le domaine médiatique. Elle a, entre autres, aminé l’émission Une pilule, une petite granule à Radio-Québec avec le docteur Georges Lévesque. Après avoir travaillé à la radio et à la télé, elle poursuit maintenant une carrière de conseillère en communication.
Le propos
En 2017, elle commet un court récit, Pierre Jean Jacques et les autres… dans lequel elle fait le tour des hommes qui ont peuplé sa vie. Elle fait le récit de sa recherche — intensive et parfois burlesque — d’un compagnon, avant l’âge fatidique de 50 ans, âge à partir duquel elle serait ni plus ni moins décomptée sur le marché du couple.
L’auteure évoque avec beaucoup d’élégance, d’humour et une bonne dose de légèreté les tentatives infructueuses de dénicher la perle rare, au gré des présentations faites par l’agence de rencontre à laquelle elle s’était abonnée ou des tours de passe-passe du hasard. Le résultat est effervescent et pétillant comme une coupe de champagne. Et la conclusion porte quand même à réfléchir…
L’échantillon
Les Britanniques ont un aplomb, un calme et une élégance qui me charment au plus haut point. Pour ne pas paraître obsessionnelle, je ne m’étendrai pas sur leurs chaussures, mais il m’a semblé que même ceux des sans-abri étaient de bon goût.
De l’homme qui porte votre valise à celui que vous croisez à huit heures au comptoir d’un café, en passant par cet autre qui vous cède sa place dans le bus, on peut tomber amoureuse plusieurs fois par jour dans cette ville. Avec un peu de chance, j’allais peut-être croiser un Hugh Grant, moi aussi ! Bon. Il aurait sans doute la chevelure moins abondante. Serait certainement plus petit et aurait le ventre un peu plus proéminent. Au final, il ressemblerait peut-être davantage à Phil Collins, mais je m’en accommoderais. Mieux vaut un Phil amoureux qu’un Hugh courailleux ! (p. 68)
Marie-Élaine Proulx, Pierre Jean Jacques et les autres…, La Presse, 2017, 189 pages
Nancy Huston est, à mon humble avis, une écrivaine du calibre d’un prix Nobel. Son œuvre est belle et exigeante. Parfois déroutante. Mais on ne regrette jamais de s’être rendu au bout de notre lecture. Instruments des ténèbres est de cette eau.
Le propos
Nadia est écrivaine. Américaine, divorcée et révoltée. Elle a d’ailleurs transformé son prénom en Nada — « rien » en espagnol. Elle écrit l’histoire de Barbe et Barnabé, des jumeaux qui, au Moyen Âge, connaîtront un destin mouvementé. Les jumeaux seront séparés à la naissance en raison de la mort de leur mère. Barnabé sera élevé dans un couvent et deviendra moine tandis que Barbe errera de famille en famille et sera soupçonnée de sorcellerie, ce qui, à l’époque, menait droit au bûcher. En parallèle, Nadia-Nada livre ses réflexions sur l’écriture, l’inspiration dans un registre sulfureux, où les sorcières et les démons font le lien avec les superstitions moyenâgeuses. Petit à petit, on en apprend davantage sur son père, contrôlant, alcoolique et violent, qui a anéanti la carrière de sa femme, violoniste de concert. Et sur elle-même, car Nadia aussi était jumelle d’un frère mort à la naissance.
Ces deux histoires imbriquées l’une dans l’autre parlent de ce qui échappe à notre contrôle, l’inspiration, oui, mais surtout l’attachement, le détachement, le désir, l’amour, l’asservissement. Ça parle aussi de rémission, de résilience et d’affranchissement. C’est noir et lumineux.
Ce bref compte rendu ne rend pas justice à une oeuvre complexe et touffue, à une écriture belle et rigoureuse. Jugez-en par vous-mêmes.
L’échantillon
Après notre séparation à l’aéroport, il était avec moi en permanence. Il m’habitait, m’accompagnait, invisible mais présent, je regardais le monde à travers ses yeux et du coup j’aimais mieux ma vie, moi-même, voire mon mari ; savoir que Juan respirait, quelque part sur la même Terre que moi, conférait à chacun de mes gestes un sens supplémentaire. (p. 239)
Nancy Houston sera interviewée par Claudia Larochelle dans le cadre du Salon du livre de Québec, en avril prochain. Pour plus d’information, consultez cet article du Soleil
Nancy Huston, Instruments des ténèbres, Actes Sud Leméac, 1996, 409 pages
On m’avait bien conseillée. J’ai adoré Tout le bleu du ciel de Mélissa da Costa. Une histoire tragique qui nous met pourtant du baume au coeur.
Le sujet
«Émile, 26 ans, apprend qu’il souffre d’une maladie dégénérative affectant ses fonctions cognitives, une forme rare d’Alzheimer, et qu’il lui reste tout au plus deux ans à vivre. Le jeune homme refuse ce qui l’attend: la peine et la compassion des proches, les tests cliniques inutiles. Il ne veux pas que ses amis et sa famille le voient dépérir. Il achète donc un camping car et place une annonce sur un site de rencontre, à la recherche de quelqu’un prêt à le suivre et à le soutenir dans cette ultime escapade. Contre toute attente, une jeune femme, Joanne, répond à l’annonce. Et les voilà partis sur les routes des Pyrénées, sans plan précis. Et nous aussi, complètement fascinés par leur odyssée.
Impressions
Sans trop dévoiler de quoi sera fait le voyage, je crois qu’on peut dire qu’il se révélera un puissant révélateur pour chacun des deux protagonistes. Il y a du chagrin dans cette histoire, du courage, de l’amour, de la résilience. Un bain de nature, d’art, de culture. Une lecture touchante et réconfortante.
Un échantillon
Il la regarde, assise tranquillement sur la petite marche du perron, les yeux rivés vers le ciel. Il se revoit à côté d’elle, quelques secondes plus tôt, avec son sourire débile de garçon immature, quand elle a parlé d’extase. Il se demande ce qu’elle fait avec un type comme lui. Elle aurait pu lui dire, simplement, qu’elle avait besoin de calme. Il serait reparti, légèrement ivre, dans la cour intérieure et il aurait repris une discussion un peu vide de sens avec un des convives.
Mélissa da Costa, Tout le bleu du ciel, Le livre de Poche, 2020, 838 pages