Que veut la Chine?

Si Immortel de Dos Santos faisait frémir par les perspectives de la perte de contrôle sur l’Intelligence artificielle, La femme au Dragon rouge trouble encore plus. Dos Santos y décrit, sur la base d’une documentation et de témoignages crédibles, la persécution dont sont victimes les Ouïgours du nord-ouest de la Chine. Persécution ? Si les faits que nous livre l’écrivain, qui est aussi journaliste et reporter de guerre (il importe de le rappeler, sont exacts, on devrait plutôt parler de génocide. L’éradication de l’ethnie ouïgoure et de sa culture bénéficie d’une surveillance technologique sans précédent mise en place en Chine, surveillance qui n’a rien à envier à la vision apocalyptique de George Orwell dans son célèbre roman 1984. Surveillance qui s’étend même aux ressortissants chinois établis à l’étranger. L’auteur s’efforce aussi de mettre en lumière les velléités de domination mondiale de la Chine sur les plans politiques, économiques et militaires. Tout ça fait peur, très peur !

Le propos

Madina est une jeune Ouïgoure, membre du Parti communiste, qui tente vaillamment de servir le Parti tout en fermant les yeux sur ses contradictions. Pourtant, sa bonne volonté ne lui épargnera pas l’emprisonnement dans de terribles bagnes, ironiquement baptisées Centre de formation par l’oppresseur, sous prétexte qu’elle n’a jamais dénoncé son grand-père, imam, qui l’a élevée dans la religion musulmane. L’incarcération vise à briser toute volonté des prisonniers, de leur inculquer des croyances à force de privations, de répétitions, d’autoaccusations, de sévices physiques. On y pratiquerait même le prélèvement d’organes et la stérilisation forcée des femmes. Mais Madina résiste. Et un jour, un membre du Parti qui l’a autrefois aimée prend contact avec elle. Sans doute lui-même en contradiction avec les orientations du Parti, il ne peut plus supporter de savoir à quoi est soumise la jeune femme. Il organise l’évasion de Chine de Madina. Munie d’une clé USB décrivant la stratégie chinoise visant à établir sa suprématie sur le monde, elle est attendue à l’ambassade américaine de l’Inde. Mais que vient faire notre expert-cryptologue portugais dans cette affaire ? C’est que près du but, Madina est enlevée avec l’épouse de Tomás Noronha, laquelle, en vacances à Amritsar, a instinctivement secouru la jeune femme poursuivie par des hommes armés. S’ensuit une poursuite effrénée pour retrouver les deux captives.

L’extrait

L’exercice se prolongea durant deux heures. Deux heures où se croisèrent des murmures de femmes répétant sans cesse qu’elles étaient des criminelles parce qu’elles avaient appelé leur fils qui vivait au Kazakhstan, qu’elles avaient WhatsApp sur leur téléphone, qu’elles mangeaient de la nourriture hallal, qu’elles avaient prié, qu’elles avaient un passeport, qu’elles avaient viré de l’argent à une sœur en Turquie, qu’elles étaient allées rendre visite à un oncle en Égypte, qu’elles avaient jeûné pendant le ramadan, qu’elles n’avaient pas bu d’alcool, qu’elles avaient reçu quatre appels de l’étranger en un mois… La liste des crimes était variée et interminable. À en croire cet échantillon de vingt femmes, la vie quotidienne au Xinjiang était apparemment devenue un crime. Il ne manquait plus que de s’être rendues coupables de respirer sans l’autorisation du Parti. À ce rythme, elles y arriveraient sûrement…

Comme tous les livres de Dos Santos, La femme au Dragon rouge est instructif et passionnant malgré les passages didactiques un peu longs et parfois répétitifs.

À lire, cet entretien de la Presse avec l’auteur

J. R. Dos Santos, La femme au Dragon rouge, Éditions Hervé Chopin, 2023, 620 pages

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