La musique et la guerre

Édimbourg, belle ville de pierre, à la fois austère et agréable, première étape de notre petit pèlerinage sur la trace de nos ancêtres, les Robertson. Pas si austère, en fait, ces jours-ci, alors que toute la ville, habitants et touristes inclus, s’émoustillent et festoient. La bière et le scotch réchauffent les innombrables festivaliers qui ont pris les rues d’assaut. Des dizaines de jeunes distribuent des signets pour faire la promotion des nombreuses manifestations – théâtre, spectacle de grande ou de modeste envergure – qui font vibrer la vieille ville durant trois semaines.

De tous ces événements, le plus célèbre et le plus couru est le grand Tattoo militaire qui se découle dans la cour du château, lui-même principal point de convergence de tous les visiteurs. Des milliers de spectateurs entassés dans les imposantes estrades acclament chaleureusement les formations militaires dès l’ouverture du spectacle alors que des centaines de militaires écossais dans leur costumes éblouissants envahissent la place avec le château comme toile de fond. Peu de spectacles peuvent d’ailleurs s’offrir un pareil fond de scène. Soudain les cornemuse retentissent et soulèvent la fierté et les exclamations des Écossais majoritaires dans la foule. Et c’est parti pour deux heures de pur plaisir fait de marche au pas, de musique, de tambours, de couleurs, de prestance et d’humour. Le magnifique castle du Moyen Âge sert d’écran sur lequel sont projetées des images en appui aux différents numéros.

Et voilà qu’au cœur de mon plaisir, s’immisce, et me trouble, l’idée de la guerre. La vraie toile de fond de la vie militaire, c’est d’abord cela, les conflits et les carnages qu’elle a engendrés. Alors comment prendre plaisir à cette musique, à cette parade, quand le sang coule encore et toujours sur tous les champs de bataille du monde? En même temps, je me dis que les armées n’ont pas créé les affrontements sur le théâtre desquels ils jouent leur vie. Elles sont le bras armés des puissants, plus ou moins sanguinaires, plus ou moins de bonne foi, plus ou moins consentants qui déclarent la guerre et recrutent, pour ce faire, les jeunes gens et les jeunes femmes du territoire sous leur juridiction. Tout voyage est une rencontre avec l’histoire et l’histoire n’est souvent que le récit d’une succession d’hécatombes, d’assassinats, de coups d’État. La musique militaire est peut-être un moyen d’humaniser et d’adoucir cette dure réalité…

Le spectacle s’achève. Les centaines de musiciens jouent cet air universellement connu, Ce n’est qu’un au revoir, tandis que les milliers de spectateurs le chantent à l’unisson, chacun dans leur langue, en se tenant par la main. Et ça fait comme une grande manifestation de fraternité qui illustre mieux que toutes les paroles notre désir de paix, mille fois trahi par notre propre polarité, par nos instincts de violence et de tendresse qui luttent pour le territoire au cœur même de soi.

En fin de compte, s’il doit y avoir des militaires, aussi bien qu’ils fassent de la musique!

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