Il y a des jours, comme ça, où la nostalgie nous habite. On se demande à quoi ça tient. On ne trouve rien de précis, plutôt un ensemble de circonstances, joies et deuils entremêlés, la vie quoi…
D’abord la disparition de mon parrain. Il partait en croisière. Un gros paquebot blanc l’attendait dans le port. Et comme ça, sans prévenir, avec toute la vivacité que nous lui connaissions, il a pris un autre bateau, qui ne reviendra pas, jamais, destination inconnue…
Et puis, il y a que je l’ai laissé aller. J’ai guidé le pointeur de la souris vers « envoyer » et, après une ultime seconde d’hésitation, j’ai enfoncé la touche d’un coup sec et nerveux. Et comme par magie, il s’est envolé. 423 000 petits signes qui se déplacent à une vitesse défiant l’imagination, presque téléportés, sans se désorganiser, de mon ordinateur à celui de la maison d’édition. Eh oui, je lui ai lâché la main, pourtant consciente de ne pas avoir terminé ma tâche, de ne pas avoir fini son éducation. Il devra marcher tout seul maintenant. Vivre par lui-même et s’installer où bon lui semble, chez-vous peut-être…
Mais c’est aussi une grande joie. Comme pour le pommier de donner son fruit j’imagine. Il devrait paraître vers la fin d’août ou le début de septembre 2012.
Pas trop tôt, quand même. Je commence à la brunante ce que d’autres, la plupart, entreprennent à l’aube. Pour me consoler et parce que c’est vrai aussi, je me dis que le soir (au propre et au figuré) est un bon temps pour écrire. L’obscurité nous fait un cocon dans lequel nous nous rencontrons nous-mêmes. Un cercle de lumière nous tient lieu d’univers. Quand le monde entier sombre dans le noir, celui qui surgit en nous est plus vaste, plus fabuleux. La nuit réduit l’espace et nous enserre comme les bras que nous croyions perdus. Pour peu que nous nous y abandonnions, elle nous bercera.
Et il y a encore cette chanson de ma nièce, débordante d’amour et de nostalgie.
Enfin, hier, Gilles se donnait à nous dans le giron intime de la salle Octave-Crémazie. Nous remplissant à ras bords de poésie et de tendresse. Gilles qui, de loin et de près à la fois, a accompagné ma vie durant 45 ans. Sa musique et ses paroles font comme une toile de fond sur laquelle se sont construits mes mots.
Gilles, 83 ans, avec sa force, sa verdeur et sa fragilité aussi. Gilles, « les bras pleins d’oiseaux », depuis toujours. Gilles qui regarde debout venir la nuit, debout en plein soleil de sa vie lucide et vibrante. Presque deux heures à nous combler, à prendre, avec une humanité d’une densité indicible. Et cette idée chagrinante qu’il partira sans doute avant nous…
Tous ces abandons, toutes ces mains lâchées nous laissent chaque jour un peu plus orphelins. Mais pleins de tout ce qui nous été légué. Et en devoir d’en faire autant avant notre propre fin. Redonner.
Encore une fois Carmen, tu nous fais le cadeau d’un très beau texte. Cadeau qui, si j’ai bien compris, se fera aussi dans un livre de toi qui sera disponible bientôt. J’ai hâte de te lire.
Tu nous livres très bien comment la vie est faite de petits et grands deuils au fil du temps qui passe et qu’on laisse derrière soi. Chacun d’eux fait de nous ce que nous sommes. Chaque perte anticipée nous apporte son lot de tristesse. Gilles a l’âge de ma mère qui a, dans les yeux ces temps-ci, cette nostalgie dont tu parles si bien.