Un voyage en Israël peut vous paraître un peu risqué par les temps qui courent? Je vous en propose un sans soucis ni bagages, mais à vos risques et périls sur le plan émotif. En fait c’est plutôt David Grossman, gagnant du prix Médicis étranger, qui nous offre, entre deux couvertures souples, une randonnée inoubliable dans son improbable contrée. Il n’y a qu’à suivre Ora et Avram et de prêter l’oreille à leurs propos. Rien de plus simple puisqu’ils empruntent la piste balisée qui traverse le pays du nord au sud.
Une femme fuyant l’annonce s’ouvre d’abord sur un long prologue qui peut s’avérer un peu déroutant, mais qui plante le décor des circonstances exceptionnelles dans lesquelles les trois adolescents ont fait connaissance, au moment de la guerre des 6 jours, en 1967. On fait la connaissance d’Ora, la lumineuse et inoubliable Ora, d’Avram, tout aussi attachant, artiste, amant, ami, et d’Ilan, le mari d’Ora. Ces trois êtres seront à jamais entremêlés pour le meilleur comme pour le pire.
Au sortir de ce prologue, l’histoire nous projette en 2000. Ofer, le deuxième fils d’Ora, part combattre dans les territoires occupés. Incapable de rester chez elle à attendre le pire, soit l’annonce de son décès, Ora se lance sur les routes de Galilée, réalisant avec Avram, son amour de jeunesse, la randonnée qu’elle devait faire avec son fils. Le trajet souvent difficile n’est pas moins ardu que le retour aux sources dont il est l’occasion. Toute une vie se recompose au gré des spasmes capricieux de la mémoire, véritable mise au monde de soi, avec ses douloureuses contractions et ses joies indescriptibles.
Je me garderai bien de révéler les éléments de l’histoire remarquable qui nous est racontés. Mais je vous dirai que ce livre vous prend au corps et ne vous lâche plus. Pas une minute d’ennui. Une écriture de maître. « LE chef-d’œuvre de David Grossman », écrit Paul Auster sur la jaquette du livre.
Avec Ora et Avram, on plonge dans l’infini des nuances et de la complexité des relations humaines, dans l’amour sous toutes ses formes. Tout cela, sur fond des incessants affrontements guerriers qui n’en finissent plus de sécuriser le territoire et qui teintent toute la vie, la psychologie et les interrelations de ses habitants. On a l’impression que l’armée, Tsahal, est un monstre qui phagocyte les enfants du pays.
Paul Auster écrit encore: « J’ai dévoré ce long roman dans une sorte de transe fiévreuse. Sidérant, magnifique, inoubliable. »
David Grossman, Une femme fuyant l’annonce, Seuil, 2011