Ma lecture des dernières semaines a rencontré des obstacles qui m’ont empêchée d’en rendre compte et qui expliquent mon silence.
J’ai d’abord tenté de lire La traversée des temps, Paradis perdus d’Eric-Emmanuel Schmitt. Cette modeste entreprise de l’illustre et prolifique auteur vise à raconter l’histoire de l’humanité, rien de moins, à travers l’expérience de Noam, qui, figé à son âge de 25 ans, parcourra 10 000 ans d’histoire. Au départ, ça prend une bonne dose de confiance pour embarquer dans cette lubie. Malgré la virtuosité langagière de Schmitt, j’ai cassé aux trois-quarts de l’ouvrage, infiniment agacée par sa position de gourou, de celui qui sait et qui va nous révéler les grandes vérités de la vie. C’est bien sûr une appréciation toute personnelle. Ma recherche sur les critiques de l’œuvre a révélé autant de lecteurs admiratifs qu’exaspérés par différents aspects de la proposition de l’auteur. Je ne peux donc vous recommander que de vous faire votre propre idée en feuilletant et lisant un extrait de l’ouvrage pour voir si cette lecture peut vous plaire en n’oubliant pas que le tout comprendra 8 tomes et quelques milliers de pages.
Deuxième lecture difficile, mais pour des raisons tout à fait différentes : La burqa de chair de Nelly Arcand. Je suis tombée en bas de ma chaise en découvrant cette auteure que je n’avais pas prise au sérieux avant d’entendre son éloge de la bouche de la grande Nancy Huston. La curiosité m’a incitée à aborder son œuvre, et j’ai découvert une écriture exigeante et un texte d’écorchée. Je le lis à petite dose, je le terminerai et je vous reviendrai.
Enfin, troisième lecture, une nouvelle de Simone de Beauvoir, L’âge de discrétion, extrait de La femme rompue, recueil publié en 1967. Ce texte met en scène un couple d’intellectuels (une professeure d’université et un scientifique). Âgés d’une soixantaine d’années, la narratrice et son mari, André, sont confrontés à la rupture que constitue la retraite et aux affres du vieillissement. Le couple vit une crise déclenchée par le choix de leur fils d’intégrer les affaires du beau-père plutôt que de marcher sur leurs traces en devenant professeur. Ce problème ne me semble compréhensible que si on est familier avec le parcours de De Beauvoir et de Sartre, avec leurs prises de position intellectuelles et politiques et qui sont aujourd’hui très datées. J’ai modérément apprécié. La fiction de De Beauvoir me semble moins intéressante que ses écrits autobiographiques qui m’ont enchantée. On imagine davantage les rouages d’un cerveau qu’un cœur battant en suivant les réflexions de la narratrice. Je pense que de Beauvoir est trop cérébrale pour véritablement faire palpiter la chair de ses personnages. Encore là, question d’attentes personnelles au regard d’une fiction abordant les défis de l’âge.
Extrait
Ne pas préjuger de l’avenir. Facile à dire. Je le voyais. Il s’étendait devant moi à perte de vue, plat, nu. Pas un projet, pas un désir. Je n’écrirais plus. Alors que ferais-je ? Quel vide en moi, autour de moi. Inutile. Les Grecs appelaient leurs vieillards des frelons. « Inutile frelon », se dit Hécube dans Les Troyennes. Il s’agit de moi. J’étais foudroyée. Je me demandais comment on réussit encore à vivre quand on n’espère plus rien de soi. (p.75)
Eric-Emmanuel Schmitt, La traversée des temps, T.01 Paradis perdus, Albin Michel, 2021, 563 pages
Simone de Beauvoir, L’âge de discrétion, 1967, Gallimard, 99 pages
Je me fie à ton appréciation et je n’ai certes pas le goût de m’embarquer dans une telle aventure…