Naviguer dans le brouillard

Toute la vie, nous naviguons à vue dans le brouillard. Nous prenons une multitude de décisions, souvent heureuses, parfois malheureuses. C’est la vie. Et c’est de ça que parle La décision de Karine Tuil.

Alma, juge d’instruction antiterroriste à Paris, doit arrêter sa décision concernant la remise en liberté ou l’incarcération d’un jeune homme, Abdeljalil, de retour de Syrie et suspecté d’y avoir rejoint l’État islamique. Les deux attentats de 2015 (Charlie Hebdo et Le Bataclan) ont mis l’opinion à vif. Pourtant, Alma tente de préserver sa neutralité en regard de la dangerosité des jeunes dont le sort est entre ses mains. En parallèle, le couple d’Alma bat de l’aile et elle s’éprend de l’avocat qui assure la défense d’Abdeljalil, se mettant ainsi en position vulnérable. Malgré les zones d’ombre, Alma doit prendre une décision risquée pour elle, pour ses proches, pour le pays…

Ce roman nous plonge dans les angoisses d’une juge pour qui compte le traitement juste et humain des prévenus. Les jeunes qui lui sont référés sont-ils récupérables ? Sont-ils sincères lorsqu’ils jurent n’avoir aucune intention malveillante, s’être trompés, vouloir refaire leur vie ? Leur remise en liberté comporte-t-elle trop de risques pour la société. Questions déchirantes pour Alma, et ce sur fond de haine et de menaces de mort. Sur fond de bouleversement émotionnel et amoureux. Sur fond de crise existentielle.

Extrait

(On attend tout de l’existence. On peut se soumettre aux lois du hasard, affirmer sa liberté et se rebeller contre ses revirements tragiques, on peut ployer sous les déterminismes ou tenter d’échapper à soi, mais c’est toujours dans l’adversité que la vérité se manifeste car vivre n’est qu’osciller entre des fulgurances contraires : l’amour et la déception ; l’espérance et le renoncement ; le bonheur et l’épreuve. On se trompe, on se trompe tout le temps. Où est la vérité ? Où est le mensonge ? La relation humaine n’offre aucun mode d’emploi, on n’a pas de grille de lecture, on tâtonne, ce n’est parfois que du ressenti, on s’appuie sur le lien qu’on a été capable de créer, nos propres convictions, notre instinct — qui souvent nous trahit —, et on aura beau se fier à des éléments cohérents, chercher à tout maîtriser, il y aura toujours une part d’incertitude, une marge d’erreur — quoi qu’on fasse, l’individu reste une énigme aux autres et à lui-même ; on ne sait jamais qui on a en face de soi. Ma décision, je l’ai prise seule, dans l’intimité de ma conscience, j’ai cru en la justice, j’ai voulu croire en l’homme, et la seule réponse à ceux qui vous opposent la mort, c’est la vie — c’est toujours la vie.)

La décision est un livre très dense qui donne à réfléchir à la véritable justice, aux préjugés, à la conscience, au courage d’agir dans l’incertitude.

Karine Tuil est l’auteure du roman Les choses humaines, couronné en 2019 par le prix Interallié et Goncourt des lycéens.

Karine Tuil, La décision, Paris, Gallimard, 2022, 352 pages

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